Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/656

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Lamartine est-il bien sûr aujourd’hui qu’il se trompait alors ? et cette ancienne unanimité qu’il rappelle ne devrait-elle pas au contraire lui donner quelque doute sur sa dissidence actuelle ? L’opinion de la jeunesse n’est pas toujours erronée, comme il semble le croire : elle est souvent juste et vraie, précisément parce qu’elle est généreuse. Et puis ce n’étaient pas seulement les jeunes gens et deux poètes, comme on le dit aujourd’hui, qui prenaient un intérêt sérieux à la cause des Grecs ; c’était la France constitutionnelle, la France libérale et éclairée ; c’étaient, dans toutes les opinions, des hommes considérables à plus d’un titre, et quelques-uns même distingués par une grande expérience des choses de l’Orient[1].

Certes, lorsque le général Sébastiani, esprit si politique et opposant si modéré, l’ambassadeur de l’empire français à Constantinople en 1807, acceptait en 1822 la présidence à Paris d’un comité philhellène, et recherchait, accueillait les officiers français et étrangers qui s’enrôlaient pour la Grèce, il s’agissait d’autre chose à ses yeux que d’une croisade mythologique. Lorsque ailleurs un nom cher à M. de Lamartine, M. Lainé, prononçait un si noble discours de tribune contre le sanglant esclavage et la traite impunie des prisonniers chrétiens de la Grèce, il y avait là mieux que des phrases poétiques ; c’était, dans une bouche autorisée, la réclamation du droit public et de l’humanité. Lorsque depuis M. Eynard, le généreux citoyen de Genève, jusqu’à MM. Casimir Périer, Benjamin et François Delessert, et Ternaux, des banquiers renommés, de riches industriels se mettaient à la tête des dons et des avances pour contribuer à une guerre si aventureuse, il fallait que cette guerre parût bien nécessaire ou bien juste.

Les deux poètes désignés par M. de Lamartine, et que ce titre n’aurait pas dû, ce semble, décréditer à ses yeux, ne firent eux-mêmes que s’associer à la voix publique, dont ils accrurent le retentissement, mais qu’ils ne créaient pas. M. de Chateaubriand, retenu d’abord par des réserves de conduite personnelle, n’entra lui-même qu’assez tard dans ce mouvement, qu’il approuvait. Quant à Byron, il est vrai, son influence fut grande alors ; il paya noblement d’exemple : il fit plus que des exhortations et des vers en faveur des Grecs ; il jeta sa fortune et sa vie dans cette guerre, et nous nous souvenons

  1. Parmi les témoignages du généreux mouvement d’opinion auquel il est fait allusion ici, on ne saurait oublier l’ouvrage même de M. Villemain auquel ces pages sont destinées, Lascaris et l’Essai sur l’état, des Grecs depuis la conquête musulmane, dont la septième édition va paraître. Les considérations présentes sur les chrétiens d’Orient ont leur place marquée à côté de ces écrits, où les mêmes convictions s’exprimaient avec la même éloquence, et que le succès a depuis longtemps consacrés.