l’innocence qui reluisent dans leurs regards, s’il juge que ces frêles et charmantes roses doivent se briser sous les mains grossières qui tenteront de les assouplir. Il faut encore songer aux intérieurs où ils croissent. Lorsqu’à cinq heures le négociant et l’employé quittent leur bureau et leurs affaires, ils retournent au plus vite dans le joli cottage où toute la journée leurs enfans ont joué sur la pelouse. Ce coin du feu où ils vont passer la soirée est un sanctuaire, et les tendresses de famille sont la seule poésie dont ils aient besoin. Un enfant privé de ces affections et de ce bien-être semblera privé de l’air qu’on respire, et le romancier n’aura pas trop d’un volume pour expliquer son malheur. Dickens l’a raconté en dix volumes, et il a fini par écrire l’histoire de David Copperfield. David est aimé par sa mère et par une brave servante, Peggotty ; il joue avec elle dans le jardin ; il la regarde coudre, il lui lit l’histoire naturelle des crocodiles ; il a peur des poules et des oies qui se promènent dans la cour d’un air formidable : il est parfaitement heureux. Sa mère se remarie, et tout change. Le beau-père, M. Murdstone, et sa sœur Jeanne sont des êtres durs, méthodiques et glacés. Le pauvre petit David est à chaque moment blessé par des paroles dures. Il n’ose parler ni remuer ; il a peur d’embrasser sa mère ; il sent peser sur lui, comme un manteau de plomb, le regard froid des deux nouveaux hôtes. Il se replie sur lui-même, étudie en machine les leçons qu’on lui impose : il ne peut les apprendre, tant il a craint de ne pas les savoir. Il est fouetté, enfermé au pain et à l’eau dans une chambre écartée. Il s’effraie la nuit, il a peur de lui-même. Il se demande si en effet il n’est pas mauvais et méchant, et il pleure. Cette terreur incessante, sans espoir et sans issue, le spectacle de cette sensibilité qu’on froisse et de cette intelligence qu’on abrutit, les longues anxiétés, les veilles, la solitude du pauvre enfant emprisonné, son désir passionné d’embrasser sa mère ou de pleurer sur le cœur de sa bonne, tout cela fait mal à voir. Ces douleurs enfantines sont aussi profondes que des chagrins d’homme. C’est l’histoire d’une plante fragile qui fleurissait dans un air chaud, sous un doux soleil, et qui tout d’un coup, transportée dans la neige, laisse tomber ses feuilles et se flétrit.
Les gens du peuple sont comme les enfans, dépendans, peu cultivés, voisins de la nature et sujets à l’oppression. C’est dire que Dickens les relève. Cela n’est point nouveau en France : les romans de M. Eugène Sue nous en ont donné plus d’un exemple, et cette thèse remonte à Rousseau ; mais entre les mains de l’écrivain anglais, elle a pris une force singulière. Ses héros ont des délicatesses et des dévouemens admirables. Ils n’ont de populaire que leur prononciation ; le reste en eux n’est que noblesse et générosité. Vous voyez un bateleur abandonner sa fille, son unique joie, de peur de