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il est terrible ; il est si tranquille et si haut, que, pour en trouver un semblable, il faudrait relire les Mémoires de Saint-Simon. M. Dombey a toujours commandé, et il n’entre pas dans sa pensée qu’il puisse céder çà quelqu’un ou à quelque chose. Il reçoit la flatterie comme un tribut auquel il a droit, et aperçoit au-dessous de lui, à une distance immense, les hommes comme des êtres faits pour l’implorer et lui obéir. Sa seconde femme, la fière Edith Shewton, lui résiste et le méprise ; l’orgueil du négociant se heurte contre l’orgueil de la fille du noble, et les éclats contenus de cette inimitié croissante révèlent une intensité de passion que des âmes ainsi nées et ainsi nourries pouvaient seules contenir. Edith, pour se venger, s’enfuit le jour anniversaire de son mariage, et se donne les apparences de l’adultère. C’est alors que l’inflexible orgueil se dresse dans toute sa raideur. Il a chassé sa fille, qu’il croit complice de sa femme ; il défend qu’on s’occupe de l’une ni de l’autre ; il impose silence à sa sœur et à ses amis ; il reçoit ses hôtes du même ton et avec la même froideur. Désespéré dans le cœur, dévoré par l’insulte, par la conscience de sa défaite, par l’idée de la risée publique, il reste aussi ferme, aussi hautain, aussi calme qu’il fut jamais. Il pousse plus audacieusement ses affaires et se ruine ; il va se tuer. Jusqu’ici tout était bien : la colonne de bronze était restée entière et invaincue ; mais les exigences de la morale publique pervertissent l’idée du livre. Sa fille arrive juste à point. Elle le supplie ; il s’attendrit. Elle l’emmène ; il devient le meilleur des pères, et gâte un beau roman.

Retournons la liste : par opposition à ces caractères factices et mauvais que produisent les institutions nationales, vous trouvez des êtres bons tels que les fait la nature, et au premier rang les enfans.

Nous n’en avons point dans notre littérature. Le petit Joas de Racine n’a pu naître que dans une pièce composée pour Saint-Cyr ; encore le pauvre enfant parle-t-il en fils de prince, avec des phrases nobles et apprises, comme s’il récitait son catéchisme. Aujourd’hui on ne voit chez nous de ces portraits que dans les livres d’étrennes, lesquels sont écrits pour offrir des modèles aux enfans sages. Dickens a peint les siens avec une complaisance particulière ; il n’a point songé à édifier le public, et il l’a charmé. Tous les siens ont une sensibilité extrême ; ils aiment beaucoup et ils ont besoin d’être aimés. Il faut, pour comprendre cette complaisance du peintre et ce choix de caractères, songer à leur type physique. Ils ont une carnation si fraîche, un teint si délicat, une chair si transparente et des yeux bleus si purs, qu’ils ressemblent à de belles fleurs. Rien d’étonnant si un romancier les aime, s’il prête à leur âme la sensibilité et