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de leur mère, un mari qui le soir veille à la lampe près de sa femme endormie, le cœur rempli de joie et de courage, parce qu’il sent qu’il travaille pour les siens. Vous trouverez de charmans ou sérieux portraits de femmes : celui de Dora, qui reste petite fille dans le mariage, dont les mutineries, les gentillesses, les enfantillages, les rires, égaient le ménage comme un gazouillement d’oiseau ; celui d’Agnès, si calme, si patiente, si sensée, si pure, si digne de respect, véritable modèle de l’épouse, capable à elle seule de mériter au mariage le respect que nous demandons pour lui. Et lorsqu’enfin il faudra montrer la beauté de ces devoirs, la grandeur de cette amitié conjugale, la profondeur du sentiment qu’ont creusé dix années de confiance, de soins et de dévouemens réciproques, vous trouverez dans votre sensibilité, si longtemps contenue, des discours aussi pathétiques que les plus fortes paroles de l’amour.

« Les pires romans ne sont pas ceux qui le glorifient. Il faut habiter l’autre côté du détroit pour oser ce que nos voisins ont osé. Chez nous, quelques-uns admirent Balzac, mais personne ne voudrait le tolérer. Quelques-uns prétendront qu’il n’est pas immoral ; mais tout le monde reconnaîtra qu’il fait toujours et partout abstraction de la morale, George Sand n’a célébré qu’une passion ; Balzac les a célébrées toutes. Il les a considérées comme des forces, et, jugeant que la force est belle, il les a soutenues de leurs causes, entourées de leurs circonstances, développées dans leurs effets, poussées à l’extrême, et agrandies jusqu’à en faire des monstres sublimes, plus systématiques et plus vrais que la vérité. Nous n’admettons pas qu’un homme se réduise à n’être qu’un artiste. Nous ne voulons pas qu’il se sépare de sa conscience et perde de vue la pratique. Nous ne consentirons jamais à voir que tel est le trait dominant de notre Shakspeare ; nous ne reconnaîtrons pas que, comme le romancier français, il mène ses héros au crime et à la monomanie, que comme lui il habite le pays de la pure logique et de la pure imagination. Nous sommes bien changés depuis le XVIe siècle, et nous condamnons ce que nous approuvions autrefois. Nous ne voulons pas que le lecteur s’intéresse à un avare, à un ambitieux, à un débauché. Et il s’intéresse à lui lorsque l’écrivain, sans louer ni blâmer, s’attache à expliquer le tempérament, l’éducation, la forme du crâne et les habitudes d’esprit qui ont creusé en lui cette inclination primitive, à faire toucher la nécessité de ses conséquences, à la conduire à travers toutes ses périodes, à montrer la puissance plus grande que l’âge et le contentement lui communiquent, à exposer la chute irrésistible qui la précipite dans la folie ou dans la mort. Le lecteur, saisi par cette logique, admire l’œuvre qu’elle a faite, et oublie de s’indigner contre le personnage qu’elle a créé ; il dit : le bel avare ! et il ne songe plus aux maux que l’avarice