elle ne le gêne pas, elle le développe et ne fait que lui répéter tout haut ce qu’il se dit tout bas.
Voici les conseils de ce goût public, d’autant plus puissans qu’ils s’accordaient avec l’inclination naturelle de Dickens, et le poussaient dans son propre sens :
« Soyez moral. Il faut que tous vos romans puissent être lus par des jeunes filles. Nous sommes des esprits pratiques, et nous ne voulons pas que la littérature corrompe la vie pratique. Nous avons la religion de la famille, et nous ne voulons pas que la littérature peigne les passions qui attaquent la vie de famille. Nous sommes protestans, et nous avons gardé quelque chose de la sévérité de nos pères contre la joie et les passions. Entre celles-ci, l’amour est la plus mauvaise. Gardez-vous à cet endroit de ressembler à la plus célèbre de nos voisines. L’amour est le héros de tous les romans de George Sand. Marié ou non marié, peu importe ; elle le trouve beau, saint, sublime par lui-même, et elle le dit. Ne le croyez pas, et si vous le croyez, ne le dites point. Cela est d’un mauvais exemple. L’amour ainsi présenté se subordonne le mariage. Il y aboutit, il le brise, il se passe de lui, selon les circonstances ; mais, quoi qu’il fasse, il le traite en inférieur, il ne lui reconnaît de sainteté que celle qu’il lui donne, et le juge impie, s’il s’en trouve exclu. Le roman ainsi conçu est une plaidoirie en faveur du cœur, de l’imagination, de l’enthousiasme et de la nature ; mais il est souvent une plaidoirie contre la société et contre la loi. Nous ne souffrons pas qu’on touche de près ou de loin à la société ni à la loi. Présenter un sentiment comme divin, incliner devant lui toutes les institutions, le promener à travers une suite d’actions généreuses, chanter avec une sorte d’inspiration héroïque les combats qu’il livre et les assauts qu’il soutient, l’enrichir de toutes les forces de l’éloquence, le couronner de toutes les fleurs de la poésie, c’est peindre la vie qu’il enfante comme plus belle et plus haute que les autres, c’est l’asseoir bien au-dessus de toutes les passions et de tous les devoirs, dans une région sublime, sur un trône, d’où il brille comme une lumière, comme une consolation, comme une espérance, et attire à lui tous les cœurs. Peut-être ce monde est-il celui des artistes ; il n’est point celui des hommes ordinaires. Peut-être est-il conforme à la nature ; nous faisons fléchir la nature devant l’intérêt de la société. George Sand peint des femmes passionnées ; peignez-nous d’honnêtes femmes. George Sand donne envie d’être amoureux ; donnez-nous envie de nous marier. Cela a des inconvéniens, il est vrai ; l’art peut-être en souffre, si le public y gagne. Si vos personnages sont de meilleur exemple, vos ouvrages sont de moindre prix ; il n’importe. Vous vous résignerez en songeant que vous êtes moral. Vos amoureux seront fades, car le seul intérêt qu’offre leur âge, c’est