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rendu à cette jeune femme un hommage plus tendre et plus ému. Je lui savais gré du fond de l’âme d’avoir rendu la pureté à ma blessure et à mon souvenir.

L’après-midi devait être consacrée à une promenade à cheval sur les bords de la mer. Dans l’effusion de cœur qui succédait aux anxiétés de la nuit, je me rendis très volontiers aux instances de M. de Malouet, qui, s’appuyant de mon départ prochain, me pressait de l’accompagner à cette partie de plaisir. Notre cavalcade, recrutée selon l’usage de quelques jeunes gens des environs, sortait vers deux heures de la cour du château. Nous cheminions joyeusement depuis quelques minutes, et je n’étais pas le moins gai de la bande, quand Mme de Palme est venue subitement se placer à côté de moi.

— Je vais commettre une lâcheté, a-t-elle dit ; je m’étais pourtant bien promis,… mais j’étouffe ! — Je l’ai regardée : l’expression égarée de ses traits et de ses yeux m’a soudain frappé d’effroi. — Eh bien ! a-t-elle repris d’une voix dont je n’oublierai jamais l’accent, vous l’avez voulu ;… je suis une femme perdue ! — Aussitôt elle a poussé son cheval et m’a quitté, me laissant attéré sous ce coup d’autant plus sensible que j’avais cessé de le craindre, et qu’il m’atteignait avec un raffinement que je n’avais pas même prévu. Il n’y avait eu en effet dans la voix de la malheureuse femme aucune trace d’insolente fanfaronnade : c’était la voix même du désespoir, un cri de douleur navrante et de timide reproche, — tout ce qui pouvait ajouter dans mon âme à la torture d’un amour souillé et brisé le désordre d’une pitié profonde et d’une conscience alarmée.

Quand j’ai eu la force de regarder autour de moi, je me suis étonné de mon aveuglement. Parmi les courtisans les plus assidus de Mme de Palme figure un M. de Mauterne, dont l’éloignement pour moi, quoique contenu dans les limites du savoir-vivre, m’a souvent paru revêtir une teinte presque hostile. M. de Mauterne est un homme de mon âge, grand, blond, d’une élégance plus robuste que distinguée, et d’une beauté régulière, mais fade et empesée. Il a les talens du monde, beaucoup d’entreprise et nul esprit. Son air et sa conduite, dans le cours de cette fatale promenade, m’eussent appris dès le début, si j’avais eu l’idée de les observer, qu’il se croyait le droit de ne redouter désormais aucune rivalité près de Mme de Palme. Il s’attribuait franchement le premier rôle dans toutes les scènes auxquelles elle se trouve mêlée ; il l’accablait de soins avec une mine importante et discrète ; il affectait de lui parler à voix basse, et ne négligeait rien enfin pour initier le public au secret de sa faveur. À cet égard, il perdait ses peines : le monde, après avoir épuisé sa méchanceté sur des fautes imaginaires, semble jusqu’ici se refuser à l’évidence qui provoque vainement ses regards.