et je m’approchai d’une fenêtre : je vis distinctement un homme qui s’éloignait d’une allure discrète dans la direction de l’avenue. Il me fut facile de juger que la porte par laquelle il venait de sortir était celle qui donne accès dans l’aile du château contiguë à la bibliothèque. Cette partie de l’habitation contient plusieurs appartemens consacrés aux hôtes de passage ; je savais qu’ils étaient tous vides en ce moment, à moins que Mme de Palme, comme il arrivait souvent, n’eût pris pour la nuit le logement qui lui était toujours réservé dans ce pavillon.
Tu devines quelle étrange pensée me traversa le cerveau. Tantôt je la repoussais comme une épouvantable folie ; tantôt, retrouvant dans le champ d’une expérience déjà longue des faits d’observation qui prêtaient de la vraisemblance à cette pensée, je l’accueillais avec une sorte d’ironie cynique, et j’aimais presque à l’admettre, comme un dénoûment odieux, mais décisif. — La première clarté de l’aube m’a surpris livré à ces angoisses mentales, évoquant mes souvenirs, examinant puérilement les circonstances les plus minutieuses qui pouvaient tendre à confirmer ou à détruire mes soupçons. J’ai dû enfin à l’excès de fatigue deux heures d’un accablement dont je suis sorti plus maître de ma raison. Je n’ai pu douter à mon réveil de l’apparition qui avait frappé mes yeux pendant la nuit ; mais il m’a semblé que je l’avais interprétée avec une hâte folle, et que mon esprit malade lui avait attribué l’explication la moins vraisemblable. En supposant enfin que mes pires pressentimens dussent se trouver justifiés, j’avais lieu assurément de me sentir l’âme profondément attristée devant un témoignage si douloureux, si impudent, de la mobilité et de la perversité d’un cœur de femme ; mais j’avais perdu tout droit de m’en montrer offensé : le plus vulgaire sentiment de dignité me faisait un devoir de l’indifférence, au moins apparente. S’il était possible qu’on eût cherché contre moi une vengeance à un tel prix, on n’en lirait pas du moins le succès sur mon visage. Quant à ma souffrance, je me disais, je me répétais que mon départ et mon éloignement lui enlèveraient bientôt ce qu’elle aurait de plus aigu et de plus insupportable.
Je suis descendu à dix heures et demie, comme de coutume. Mme de Palme était dans le salon : elle avait donc passé la nuit au château. Cependant il m’a suffi de la voir pour perdre l’ombre même du soupçon. Elle causait d’un air tranquille au milieu d’un groupe. Elle m’a salué de son doux sourire habituel. Je me suis senti délivré d’un poids immense. J’échappais à un tourment d’une nature si pénible et si amère, que l’impression franche de ma douleur primitive, dégagée des honteuses complications dont j’avais pu la croire aggravée, me semblait presque aimable. Jamais mon cœur n’avait