Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/607

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le plus grand nombre de femelles, vaches ou génisses, parfaites de chair et de graisse, comme disent les nourrisseurs, car, en vertu de répugnances invétérées et légitimes, ces animaux ne pourraient être achetés que bien au-dessous de leur valeur réelle. Ce sont les nombreux consommateurs du Nord, de l’Aisne, du Loiret et de presque tout le centre de la France, qui savent apprécier et payer convenablement les vaches élevées dans ces conditions. Une longue pratique leur a prouvé que les femelles engraissées par d’habiles éleveurs fournissent une chair fine, succulente, que plusieurs propriétaires, juges compétens en cette matière, préfèrent, sous forme de rôti surtout, à la viande de bœuf[1].

L’influence de l’alimentation sur la qualité de la chair des animaux peut être démontrée par de nombreux exemples. Nous n’en citerons qu’un. La plupart des Français et surtout des Parisiens voyageant en Angleterre ont été frappés des différences considérables qu’ils remarquaient entre la qualité des viandes et de certains produits comestibles des animaux dans les deux pays : à Londres et presqu’en tous lieux dans les trois royaumes, la chair du veau, même après la cuisson, est rougeâtre, peu sapide, dépourvue de l’arôme fin qui la caractérise chez nous ; le lait des vaches est généralement moins aromatique aussi, parfois il exhale une odeur particulière peu agréable ; le beurre qui en provient est, à température égale, plus consistant, moins ductile, de teinte plus blanchâtre. Peu de personnes se rendent compte des causes qui produisent ces différences, et cependant des faits nombreux bien observés permettent de les expliquer. On les comprendra sans peine en examinant les conditions qui chez nous ont été particulièrement étudiées et souvent

  1. Pour mon compte, je puis dire qu’un aloyau de génisse rôti à point chez l’un de nos grands éleveurs, M. de Behague, m’a fait comprendre cette préférence. M. de Behague avait convoqué tout un aréopage de juges, agronomes et gens du monde, pour apprécier les produits d’une de ses génisses grasses, primée au précédent concours. Malgré les travaux analytiques et physiologiques de beaucoup d’hommes éminens, parmi lesquels on peut citer les noms de Proust, d’Edwards, de MM. Chevreul, Liebig, etc., il s’en faut de beaucoup que les questions relatives à la composition immédiate des viandes de diverses origines et d’animaux d’âges différens soient résolues. On sait d’une manière générale quelles sont les influences favorables des prairies naturelles formées de plantes herbacées diverses et de certaines rations alimentaires suffisamment variées, on connaît les effets utiles ou défavorables— entre certaines limites — des races, du travail, de l’âge, de la lactation relativement aux qualités comestibles des viandes de boucherie ; mais on ignore la nature et les doses des principes immédiats qui forment les arômes obtenus par la cuisson. On n’a pu encore apprécier exactement l’influence d’un engraissement exagéré sur l’arôme du bouillon ; il se pourrait que l’excès de tissus adipeux observé dans la viande des animaux de l’espèce bovine en Angleterre contribuât par les acides volatiles de la graisse à rendre le bouillon moins agréable en ce pays, mais on n’en a pas la certitude.