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Arrachant une plume à son aile azurée,
Il la met dans la main qui s’était retirée.
En vain elle résiste, il triomphe… il sourit…
Laissant couler ses pleurs, la jeune femme écrit.


Elle écrivit en effet, et d’une vie bien courte, mais unie et sereine, il reste du moins après elle le recueil précieux qu’une pieuse et fidèle tendresse a formé d’œuvres pleines de sentiment et d’esprit, qui sont bien d’une femme, quoique très peu de femmes les eussent égalées. Les vers de Mme d’Arbouville ont un vrai mérite d’élévation, de pureté, d’harmonie. On y sent beaucoup de facilité, qui n’exclut ni le soin ni l’élégance. Évidemment elle était par nature portée à concevoir poétiquement toutes choses. Cependant on apprend mieux à la connaître dans ses nouvelles, où elle se livre à ses propres conceptions et serre de plus près ses pensées. L’originalité est le mérite que les femmes qui ont le plus de talent atteignent avec le plus de difficulté. Mme d’Arbouville n’en manque point, ce me semble, et dans le cercle de sentimens où elle aime à s’enfermer, on est surpris de ce qu’elle montre d’invention, et d’un certain art de combiner des circonstances qui encadrent et fassent ressortir ses idées. Ses conceptions n’ont rien de commun, quoique les sentimens qu’elle veut peindre soient aussi vieux que le cœur humain. Le tableau est bien composé, le coloris est doux et vrai, l’expression est bien sentie, et encore que le dessin pût être plus ferme et plus précis, on sent une main qui sait peindre. Une chose frappe dans ces divers et charmans récits, c’est leur extrême tristesse. Mme d’Arbouville a été heureuse ; nous avons déjà dit que son esprit était animé, sa conversation enjouée, et son imagination, qui donnait du prix à mille petites choses, ne la portait pas à rembrunir les teintes véritables de la vie. En un mot, elle ne voyait point en noir, et sans les maux cruels qui ont abrégé ses jours, on aimerait à parler de son bonheur et de sa gaieté. Il n’est même pas impossible que si son talent avait pris ce chemin, elle n’eût réussi dans le roman d’observation par la finesse d’une moquerie spirituelle ; mais le côté poétique des sentimens l’a toujours de préférence attirée, et une imagination mélancolique semble avoir déterminé le choix de tous ses sujets. Elle se plaît dans la peinture de la douleur inconsolable et des situations désespérées. Ses héroïnes, pour qui sont faits tous ses romans, car elle n’y donne place au héros que parce qu’il est indispensable, Christine, Madeleine, Éva, Ursule, sont des élues du malheur et ont à lutter contre d’invincibles conditions de souffrance et de devoir. Si elle donne un de ses contes pour l’esquisse d’Une Vie heureuse, c’est une ironie quelque peu amère qui nous apprend que le bonheur s’achète au