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simple et des impressions naturelles qui s’alliaient à un esprit délicat, facilement séduit par tout ce qui était sensibilité, enthousiasme, illusion. Elle aimait à observer, et elle observait avec finesse, quoiqu’une bonne moitié ou plutôt la moins bonne moitié de la réalité fût destinée à lui échapper toujours. Il n’y avait que les secrets du cœur qui ne lui échappaient jamais, et sa bonté attentive et diligente donnait le plus vif attrait à son amitié. On remarquait en elle un mélange de bienveillance et de fierté qui ne se rencontre guère au même degré, et cependant un penchant, je dirais presque une passion pour le dévouement, plus rare encore que tout le reste. Cette jeune personne distinguée tombait au milieu d’une société spirituelle et lettrée, et qui cherchait désormais dans les ouvrages d’esprit plutôt l’analyse des sentimens que l’exposition des idées. Elle se formait dans un monde où l’on avait souffert, où chacun avait gardé de la révolution de tristes souvenirs. Elle-même devait rencontrer dans sa destinée quelques causes de chagrin qui l’éprouvèrent sans l’abattre. Elle n’avait rien ni des préjugés de l’ancien régime, ni de ceux de la philosophie passée. Tout cela lui était comme étranger ; il n’en restait pour elle que cette liberté et cette modération d’esprit plus communes alors qu’aujourd’hui, et sa part de la tendance générale à préférer en tout l’imagination à la réalité et au raisonnement. C’est dans le monde de l’imagination qu’alors on aimait à vivre, dans ce monde où l’amour n’est que pureté et dévouement, la religion qu’espérance et consolation, la vertu qu’enthousiasme et bienveillance. Cette disposition, transportée dans la littérature, a déterminé le ton romanesque de certains livres, et amené ce je ne sais quoi d’élevé et d’indécis, de sublime et de vague, dont on a fait alors l’idéal de l’art et de la vie.

Tout ce mouvement intellectuel et littéraire approchait de son terme, lorsque parut un poète destiné à résumer une dernière fois et à peindre avec un incomparable talent cet état de l’âme humaine, qui à tant de charme unissait un peu de faiblesse. Les Méditations et les Harmonies en resteront l’immortel monument. La France a pu enfanter d’aussi grands poètes, je ne sais, mais aucun qui le fût ainsi. Peu d’ouvrages d’esprit ont produit autant d’effet sur l’âme des lecteurs. Destiné à être lu et relu dans la solitude, à prêter une voix secrète à des sentimens mystérieux, ce livre devait être le vrai penseroso de tous les jeunes esprits, surtout dans le sexe qui préfère les émotions aux idées et qui se plaît le plus au demi-jour de la raison. Les jeunes hommes d’alors commençaient peut-être à passer l’époque où cette poésie se fût emparée de leur âme tout entière. Leur imagination arrivait à désirer dans l’art des formes plus arrêtées, dans la pensée une foi plus distincte, le dirai-je enfin ? dans la