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nuise à la justice. Cependant l’appréciation des ouvrages d’esprit devient plus difficile, lorsqu’ils viennent d’une personne que l’on a connue, et quand on rapproche à chaque instant par le souvenir sa vie de ses écrits et ses sentimens de ses pensées. On croit, on le voudrait du moins, la retrouver dans ce qui reste d’elle, et l’on est naturellement entraîné à la tâche compliquée de découvrir tous les liens mystérieux qui rattachent les affections, les émotions, les principes d’une personne, soit aux événemens de sa destinée, soit aux productions de son esprit. On s’efforce de décomposer et de recomposer tour à tour cette unité de la personne humaine, et l’on se pose irrésistiblement un problème qu’on ne serait pas en état de résoudre, quand il s’agirait de soi-même, car où est l’homme qui ait conscience de toute sa nature ?

Telle est cependant la tentation dont je sens que j’ai à me défendre en voulant entretenir le lecteur du recueil des écrits de Mme d’Arbouville. J’ai besoin de me représenter et combien l’entreprise serait difficile, et combien peut-être le lecteur s’étonnerait de la voir essayée, pour ne pas chercher dans ses œuvres l’image de son âme comme dans un miroir, pour ne pas faire l’effort de replacer dans le monde où elle a vécu, dans la famille où elle est née, au milieu de souvenirs pour moi pleins de douceur et de réalité, une jeune femme éminente par mille qualités, mais qui en devait quelque chose aux circonstances de sa destinée, et qui n’a fait qu’ajouter aux dons précieux de l’esprit et du cœur, largement départis entre elle et les siens, une faculté moins partagée, plus individuelle, celle de donner une voix harmonieuse au genre de pensées et de sentimens qui l’animaient et qui l’entouraient à la fois. M. de Barante, qui à tous les titres pouvait bien mieux compléter ainsi le tableau, me donne l’exemple d’un art plus discret et non moins fidèle. Dans une courte notice, il a dit, avec une justesse exquise et une simplicité touchante, tout ce qu’il était nécessaire d’apprendre au public sur celle dont on réunissait les œuvres pour lui. Il serait impossible de faire aussi bien, téméraire peut-être de faire autrement.

Ce n’est pas aux lecteurs de la Revue qu’il est nécessaire de rappeler le talent de Mme d’Arbouville. Ici, dans ces pages mêmes, on a donné à quelques-unes de ses meilleures compositions une publicité qu’elle n’osait affronter qu’à demi, et on lui a fait connaître le succès qu’elle ne cherchait pas. Chacun se souvient de ces nouvelles écrites avec tant d’émotion et de délicatesse, et que recommandent une rêveuse imagination, une sensibilité pénétrante, une diction gracieuse. Il serait aussi malaisé que superflu de les analyser. Ce qui touche ne s’oublie pas, et ce qui sait plaire ne se laisse pas toujours expliquer.