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Auquel des deux systèmes s’est arrêté M. Simart ? — À aucun, si l’on en croit les apparences, car non-seulement il n’a point appliqué à l’ivoire les teintes variées de la polychromie, non-seulement il n’a point profité de son éclat et de ses vertus naturelles, mais il lui a enlevé la couleur qui lui est propre et l’a rendu méconnaissable. Les morceaux sont magnifiques, du plus grand prix, et cependant l’aspect est pauvre. Loin d’être frappé par la qualité de la matière, on hésite. Est-ce du stuc ? est-ce une composition ? est-ce du bois de Spa ? entendais-je se demander autour de moi des personnes non averties. La naïveté satirique de ces questions prouve combien l’ivoire a été défiguré. Déjà le principe d’exécution, au lieu d’en faire valoir les ressources, les avait annulées. Il restait à en éteindre les tons brillans et voluptueux : par un malheur inexplicable, ils ont été éteints. Comparez à la Minerve les ivoires que je citais plus haut. Telles n’étaient point les intentions de M. Simart, qui en doute ? mais l’effet, comme Galatée, a ses caprices et ses fuites, et l’effet l’a cruellement déçu : tant il est vrai qu’il n’y a rien de plus funeste aux novateurs que l’excès de prudence. Il fallait oser et non pas craindre : dans la témérité seule était le succès. Du reste, autant la critique se modère lorsqu’elle ne peut causer qu’un chagrin inutile, autant ses instances doivent être vives lorsqu’elle entrevoit un résultat. L’ivoire de la Minerve pourrait-il encore être travaillé dans un esprit différent ? Je l’ignore, mais assurément sa surface se prêtera à tous les essais, qu’on veuille dégager la splendeur qui lui est propre ou recourir k des couleurs étrangères. La science peut donc toujours supplier les artistes de mettre à l’épreuve ses théories, de les confondre peut-être, mais au moins d’instruire nos sens, puisque nous constituons nos sens les arbitres de la vérité. Je ne doute point que M. de Luynes, aujourd’hui que la statue est entre ses mains, ne la fasse revêtir de teintes brillantes et idéales. Nous saurons enfin si la polychromie n’est qu’un goût grossier, digne des civilisations dans l’enfance, ou si c’est un principe d’un ordre supérieur, qui veut que la couleur soit le charme de la forme et la lumière de la beauté.

Si, des parties nues, qui sont représentées par l’ivoire, nous passons à l’examen des draperies, qui sont représentées par l’or, la même déception nous attend. L’or n’est plus de l’or ; une timidité savante est parvenue à en étouffer tous les feux. La longue tunique paraît grise et comme effacée ; ses tons sont parfois ceux de la pierre, ses reflets appartiennent à l’argent plutôt qu’à l’or. Les accessoires seuls, le bouclier, le casque, les ailes de la Victoire, sont d’un ton franc, comme pour mieux écraser le vêtement principal. Je ne saurais ici alléguer l’inexpérience de l’artiste : il a voulu évidemment détruire l’éclat du métal, car partout un travail à la pointe hache