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l’écrasent en condamnant à une triste obscurité le siège de la pensée.

Qu’une première expérience ait été contraire à M. Simart, rien de plus naturel. Les bons juges étaient tout disposés à oublier une exécution inégale, à la condition que l’effet général de l’œuvre répondît à leur attente. Quel est l’effet de l’ivoire ? Quel charme, quelle richesse nouvelle prête-t-il à la statuaire ? Pourquoi l’antiquité le préférait-elle au marbre ? Ce n’était point une substance tellement précieuse, que sa cherté seule la fît offrir aux dieux, surtout si l’art, ce dieu suprême de la Grèce, en eût réprouvé l’usage. L’ivoire était-il plus propre à recevoir les nuances idéales de la polychromie, ou bien sa couleur même paraissait-elle approcher des tons de la chair et de sa pâleur dorée ? car M. Simart pouvait opter entre ces deux systèmes.

Le parti le plus hardi, le plus favorable peut-être aux progrès de la science, c’était de colorer l’ivoire. M. Simart eût repoussé ces couleurs vraies qui copient la nature ; l’imitation, quand elle arrive à l’exactitude des figures de cire, n’excite que le dégoût. Il eût choisi des teintes de convention parce que l’art est quelque chose de plus que la nature, des teintes d’une épaisseur inappréciable, afin de ne point nuire aux formes, d’une vigueur ou d’une finesse de ton calculée, afin de les faire valoir : il eût protégé par cette cire, que les procédés encaustiques rendent plus pénétrante, l’épiderme d’une substance animale qui se dégradera promptement. Déjà, si toutefois je ne me suis point fait illusion, une fente menace de se déclarer sur le cou de la Minerve. Une grande surface d’ivoire jaunit par places, se salit, s’écaille. Les Grecs prenaient des précautions inouies pour conserver les statues de ce genre. Ils les entouraient d’eau de peur que la sécheresse ne les fit éclater, d’huile de peur que l’humidité des lieux marécageux ne hâtât leur décomposition. La couleur, ce voile éclatant qu’ils appliquaient au marbre de leurs temples, ne serait-elle pas un secours aussi efficace ? Otera-t-elle beaucoup au prix de l’ivoire, dont on sentira, à travers l’enduit subtil, briller l’éclat harmonieux et la douceur charmante ? J’en appelle aux peintres de miniatures. Dès lors les lèvres, les joues, que le bronze antique lui-même savait quelquefois laisser rougir, les sourcils, dont l’absence est une difformité, ne se pourraient-ils distinguer par un trait plus vif, et les yeux bleus ne cesseraient-ils pas de paraître deux taches sur la blancheur du visage ? En un mot, car je ne puis énumérer ici tous les problèmes de la statuaire polychrome, M. Simart avait une occasion unique d’éclairer son siècle sur cette question tant débattue. La science n’a que des affirmations timides, parce que souvent les preuves lui échappent. L’art peut tout oser, parce qu’il a une démonstration décisive : une belle œuvre. Textes anciens, témoignages des voyageurs, monumens retrouvés sous le sol,