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décider ; tout dépendait de l’exécution. Par l’exécution, M. Simart pouvait gagner la plus belle des batailles, soit qu’il dût faire un pastiche d’après l’antique, soit qu’on le laissât libre de traiter un sujet original. Fallait-il donner à l’or tous ses feux, le rehausser d’émaux et revêtir l’ivoire de teintes conventionnelles, ou bien devait-on se contenter des nuances adoucies du métal et des tons naturels de l’ivoire ? dans les deux cas, la polychromie était toujours en jeu : il convenait d’établir l’harmonie entre des matières diversement colorées ; mais assurément M. Simart a trouvé une solution des plus imprévues, en enlevant à l’une et à l’autre substance sa couleur propre et sa splendeur.

Je considère d’abord le visage de la Minerve, et je cherche en vain les contours moelleux et l’épiderme vivant de l’ivoire. Sa fleur a disparu, sa teinte est blême ; les colliers et les pendans d’oreilles rendent plus sensible encore cette pâleur. Je me suis rappelé involontairement les cadavres de jeunes femmes que les Allemands exposent dans leur plus riche parure. Un premier tort est d’avoir choisi de l’ivoire mort, c’est-à-dire une défense tombée après sa maturité, tandis que l’ivoire vert, c’est-à-dire la défense arrachée avant sa complète croissance, est plus favorable au travail du sculpteur. Un second obstacle, c’était l’inexpérience de l’artiste. La matière en effet était rebelle, et la main qui la façonnait ne possédait point la science nécessaire pour la dompter. M. Simart n’a point l’habitude de creuser l’ivoire, c’est le cas de tous nos artistes, je le suppose. Les praticiens exercés qu’il a pu appeler à son secours ne savaient eux-mêmes travailler que de très petits objets ; d’ailleurs les praticiens ne font que traduire servilement le modèle du maître. Or l’ivoire est une substance dont le grain, dont les veines, dont le poli, exigent des procédés spéciaux, et, ce qui est bien supérieur aux procédés, une intelligence spéciale. La matière ne fait pas l’artiste, disais-je tout à l’heure, non, pas plus que la langue ne fait l’écrivain ; mais l’écrivain, selon la langue dans laquelle il s’exprime, luttera contre des obstacles différens et devra deviner des richesses nouvelles. Il y a eu dans les temps modernes des artistes auxquels le travail de l’ivoire était familier. Qui n’a vu de ces christs, d’une dimension déjà notable, que le XVe et le XVIe siècle ont légués à notre admiration ? Qui n’a remarqué combien l’ivoire est attaqué vigoureusement, tourmenté même, combien le modelé est plein de mouvement et de saillies ? Autant que la vérité le permet, les contours sont brefs, les surfaces nombreuses et variées. Le jeu des muscles est accusé avec une légère exagération, comme dans la sculpture en bois. Partout la lumière glisse et se brise, afin de pénétrer une substance dont le tissu serré la repousse, et dont l’éclat tend à rapprocher tous les plans. Les