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étages de draperies, où l’or change autant de fois de couleur. De même, au lieu de s’en tenir aux paroles de Pausanias et de Pline, M. Quatremère emprunte au cabinet de Vienne le jaspe gravé par Aspasius. Il y voit une copie de la Minerve de Phidias, ou du moins de son buste. Est-il déterminé par le caractère puissant du type, par la majesté des formes, par quelqu’une des qualités héroïques qui peuvent trahir l’inspiration du grand siècle ? Non. M. Quatremère est séduit par tout ce qui nous rendrait au contraire suspecte la prétendue copie de Phidias, par l’abondance des ornemens et par un style plein de recherche.

Le hasard, qui préside aux ruines comme aux découvertes, se joue souvent de la science en confondant les opinions les mieux établies. Ce n’est point moi qui conteste ce que M. Quatremère croyait incontestable. Je ne fais que traduire le muet témoignage des œuvres de Phidias, révélées depuis quarante ans à l’Europe. Dans cette longue série de sculptures que des mains d’élèves ont en partie exécutées, où trouve-t-on rien qui ressemble à la recherche ou à une richesse voisine de l’ostentation ? Où reconnaît-on l’asservissement aux antiques formules et la gêne de la tradition sacrée ? N’y voit-on pas plutôt une liberté qui serait infinie, si elle ne se mesurait elle-même ? L’art arrivé à sa perfection n’est pas seulement indépendant, il est le maître, car la religion demande aux sculpteurs de créer des types plus beaux et de lui donner des dieux. En même temps quelle grandeur par la proportion ! quel tempérament exquis de qualités opposées, la force et la souplesse, la fantaisie et l’étude, la noblesse et le sentiment, l’austérité et le charme, une fécondité inépuisable unie à cette sagesse qui se résigne parfois à se répéter plutôt que d’outrer l’originalité ! Quel naturel rencontrant sans effort les traits les plus saisissans ! Surtout quel génie de grâce et de simplicité ! Si les lieux et le ciel ont quelque influence sur l’esprit d’un peuple, la nature n’enseignait-elle pas, en Grèce, aux artistes combien la distinction est ennemie du luxe, comment les beautés sobres et la nudité même produisent les plus vifs effets et des impressions toujours neuves ?

Ce caractère éminent du génie de Phidias ne pouvait disparaître tout à coup, parce que l’or se substituait au bronze, l’ivoire au marbre. La matière fait l’artisan, elle ne fait point l’artiste. Un esprit affecté restera affecté devant la pierre la plus grossière ; un talent puissant ne tombe pas dans la minutie, parce qu’il s’apprête à façonner un lingot d’or. Il est vraisemblable qu’à ses débuts la statuaire chryséléphantine copia trop servilement les habillemens et les parures des statues en bois ; elle s’attachait peut-être à en reproduire la variété, la profusion, me permettra-t-on ce mot ? le clinquant. Ce fut le rôle de Phidias de la ramener à un goût sévère et au mépris de