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rehaussé de reliefs repose aux pieds de la déesse. Le casque est surmonté d’un sphinx et orné de griffons sur les côtés.

L’attitude et l’ajustement de la statue une fois déterminés, l’imagination poursuit son effort et s’applique aux détails. Quel sera le mouvement des draperies, la forme du casque, l’expression des traits, la disposition de la chevelure ? Quelle action prêter à la Victoire, quelle importance à l’égide, quel caractère au serpent ? Alors on se prend à parcourir de nouveau par le souvenir les musées de Paris et de Londres, de l’Allemagne et de l’Italie. Florence ou Rome, Naples ou la Sicile n’ont-elles point offert tel morceau qui avait paru soit une imitation, soit une réminiscence de Phidias ? Les terres cuites, les bronzes, les vases peints, les pierres gravées, les monnaies antiques ont reproduit Minerve sous des aspects innombrables : ne trouve-t-on nulle part une copie de la vierge du Parthénon ? Ne reconnaît-on du moins dans aucune œuvre un style voisin du style de Phidias et une beauté digne de lui être attribuée ? Ainsi se complète un rêve plein de jouissances téméraires qui se dissipent lorsqu’on essaie de les communiquer. En face du papier que de difficultés ! que de scrupules ! quelle pudeur d’oser prêter à un tel génie les préférences de son propre goût ! Les poètes nous montrent les fantômes se jouant de qui les veut saisir : telle la Minerve de Phidias, dès qu’on prétend la décrire. Quelques traits demeurent certains : les Grecs eux-mêmes nous les ont retracés ; mais les lignes, les formes, les ornemens, les couleurs, tout se dérobe ; on obtient à peine un crayon décevant, qui ne se sauve qu’en s’entourant d’un nuage.

Une statue de Phidias ne se refait pas plus qu’une tragédie perdue de Sophocle, à l’aide de quelques citations tirées des auteurs. Les plus grands sculpteurs de la renaissance eussent succombé devant une pareille épreuve. Aussi, lorsque j’ai appris que M. le duc de Luynes et M. Simart nous promettaient une image réduite de la Minerve du Parthénon, j’ai cru d’abord que ce n’était qu’un détour ingénieux pour faire accepter au public la statuaire chryséléphantine. Sous un but apparent, qu’ils savaient bien n’être qu’une chimère, j’ai cru qu’ils cachaient un but réel et voisin de l’application pratique. L’archéologie n’est qu’une érudition stérile, si dans le passé elle ne démêle point l’enseignement de l’avenir, si dans le génie antique, à côté des secrets, elle ne cherche point sans cesse des modèles. Toutefois ces modèles mêmes, il appartient à la sculpture de les mettre en lumière par ses effets matériels et de les consacrer par l’épreuve de l’exécution. Dès lors Phidias n’est qu’un prétexte ; c’est la statuaire elle-même qui est en jeu. Il ne s’agit plus de deviner dans tous ses détails la pensée du maître à travers une nuit de vingt-quatre siècles : il faut retrouver les traditions de l’art qu’il avait conduit à sa