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autrefois, nous avons même encore, sur beaucoup de points, de vastes étendues de terres communes. Le même fait existait et existe encore en Angleterre, en Allemagne, en Belgique. Seulement la jouissance en commun disparaît peu à peu partout. Pourquoi ? Parce que l’expérience universelle a démontré que ce mode de jouissance n’était pas assez favorable à la production. Il faut dix fois, cent fois plus de terres communes que de terres appropriées pour nourrir une tête humaine. Voilà la loi, personne n’a jamais pu lui échapper. Examinez les villages français qui possèdent encore de grands communaux : ils sont tous, sans exception, moins peuplés et plus pauvres que ceux qui n’en ont plus. Dès que ces communaux sont soustraits d’une façon quelconque à la jouissance indivise, soit par des partages, soit par des ventes, soit par de simples amodiations, la production s’élève, la condition des habitans s’améliore, et la population s’accroît. — La vaine pâture a quelques avantages apparens, mais au fond elle n’est pas moins nuisible que tous les autres modes de jouissance en commun. Partout où elle existe, elle est un obstacle an progrès des cultures, en rendant à peu près impossible toute modification partielle de l’assolement.

Faut-il attacher un grand prix à ce que M. Le Play appelle les subventions forestières ? Il entend par là l’enlèvement des bois morts, des végétaux sous-ligneux, des fruits de toute sorte, glands, châtaignes, noix, noisettes, des feuilles employées comme litières, des herbes destinées à la nourriture des animaux domestiques. En accordant ces différens droits aux populations circonvoisines, on ne cause, dit-il, à la propriété forestière aucun dommage appréciable, et on augmente le bien-être des usagers. Je nie l’une et l’autre de ces deux affirmations. On cause au contraire à la propriété forestière d’énormes dommages. En enlevant les fruits, les usagers empêchent l’ensemencement naturel ; l’extraction inconsidérée des feuilles laisse le sol sans abri, et en amène le dessèchement progressif. Le pâturage entraîne d’autres abus plus graves encore, et sous prétexte de prendre seulement les bois morts, on se porte aux maraudages les plus nuisibles. Avec les droits d’usage, toute sylviculture est impossible. Il n’est pas plus exact de dire que les populations usagères s’en trouvent bien. On favorise parmi elles des habitudes de vagabondage, incompatibles avec une vie régulière, et on diminue, avec le produit total des bois, la demande de travail. Ces produits accessoires ne sont pas d’ailleurs perdus pour n’être pas livrés au pillage ; ce qui peut être enlevé sans inconvénient fait l’objet de concessions renfermées dans de justes limites.

Rien n’est assurément plus désirable que de voir réprimer la mauvaise concurrence, mais comment s’y prendre sans nuire à la