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L’esprit d’association est à coup sûr un des élémens les plus féconds du progrès général, mais je ne vois pas qu’il soit aujourd’hui le moins du monde comprimé. Il crée sous nos yeux de puissantes compagnies qui réunissent des capitaux énormes. Dans un ordre plus modeste, mais non moins utile, il a produit l’excellente institution des sociétés de secours mutuels. On pourrait même dire qu’à certains égards il arrive jusqu’à l’excès ; à force de s’associer, de se fondre, les compagnies tendent à constituer de véritables monopoles, et nous avons vu bien des associations ouvrières, organisées après 1848 avec tous les encouragemens possibles, dans l’impossibilité de marcher. Ces exagérations ne font rien au principe : en toute chose, l’abus ne prouve pas contre l’usage ; mais il en résulte tout au moins que l’esprit d’association a sa pleine liberté d’action. M. Le Play en convient, il reconnaît en outre que les anciennes formes de l’association, comme les corporations, ne sont pas à regretter, et qu’elles disparaissent tous les jours de plus en plus devant l’esprit d’entreprise individuelle, principe de la civilisation moderne. Que veut-il donc ?

Quelques mots épars çà et là semblent faire entendre qu’il est favorable à la jouissance indivise des biens communaux. « L’existence de ces biens, dit-il, et la conservation de la vaine pâture doivent être placées, dans l’état actuel de l’Europe, au nombre des moyens d’assistance les plus efficaces, en faveur des populations rurales ; souvent même elles y ont trouvé le moyen d’échapper aux atteintes du paupérisme et de se maintenir dans un état prononcé de bien-être et d’indépendance. » Il est vrai que quelques lignes plus bas il reconnaît la supériorité de l’exploitation privée sur la jouissance indivise, et il exprime le vœu de voir les biens communaux aliénés, à mesure que le progrès des masses permettra d’adopter un meilleur régime ; mais ce n’est là qu’une concession d’avenir. Pour le présent, il penche visiblement vers l’indivision, et ne laisse échapper aucune occasion de montrer en quoi l’étendue des biens communaux contribue au bien-être des populations orientales. Selon moi, c’est une erreur : au-delà d’une certaine proportion de population, les communaux ne font que du mal, ils entretiennent la pauvreté, l’oisiveté, l’ignorance, l’incurie, et partout où il s’en trouve en grande étendue, les masses ne font et ne peuvent faire aucun progrès. Si l’on attend pour les partager ou les aliéner le moment où les populations rurales seront dans une condition meilleure, on attendra toujours, car ce sont eux qui sont la cause principale du mal.

La jouissance en commun du sol n’a rien de particulier à la race turque ou slave ; elle se retrouve à toutes les origines de la société occidentale comme de la société orientale. Nous avions en France