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propriétés pour se faire fermiers. Le mode de culture généralement adopté et favorisé par le climat, en multipliant les pâturages, avait rendu l’exploitation par grandes fermes plus profitable que par petites. Aujourd’hui un mouvement en sens contraire semble se produire, d’abord par les land societies qui achètent des terres pour les diviser en petits lots, ensuite par la révolution agricole, qui réduit les pâturages pour augmenter les terres arables ; mais l’une et l’autre de ces deux causes n’agissent encore qu’insensiblement, et les courans généraux portent toujours vers la grande culture, profondément enracinée dans les traditions, les conditions économiques, et même les préjugés de la nation.

En France, le contraire arrive, au moins jusqu’ici. C’est la petite propriété et la petite culture qui tirent chez nous le meilleur parti du sol. Tant que les capitaux fuiront les champs, tant que l’impôt leur prendra sans leur rendre, tant que les propriétaires aisés consacreront leur revenu à des dépenses de luxe, tant que l’esprit d’entreprise restera indifférent ou hostile à la production rurale, tant que l’application des sciences à la culture sera considérée comme une utopie ruineuse, la petite propriété et la petite culture feront des progrès ; c’est inévitable et même désirable ; où la science et le capital manquent, le travail doit l’emporter. Depuis 1848, ces progrès se sont arrêtés, le découragement a gagné les rangs populaires, le paysan n’achète plus, n’entreprend plus, et comme en même temps la grande culture n’a pas fait un pas sensible, le mouvement en avant est suspendu. Cette stagnation ne sera sans doute qu’accidentelle : on peut affirmer que, si l’agriculture nationale se remet en marche, le petit cultivateur y aura toujours la plus grande part. C’est lui qui donne de la terre la rente la plus forte ou le prix le plus élevé ; c’est donc à lui que la terre doit revenir. Le seul moyen de la lui disputer, c’est de la rendre plus productive dans d’autres mains, et non d’avoir recours à des combinaisons surannées qui n’auraient absolument aucune efficacité, et qui, impuissantes à nous faire remonter le cours des temps, ne seraient bonnes qu’à soulever de nouveaux orages. La loi du partage égal est la chair et le sang de la France, on ne peut y toucher sans danger.

M. Le Play ne demande pas précisément le droit d’aînesse, bien que ce soit le fond de sa pensée : il se borne au droit illimité de tester. Pour mon compte, je n’y verrais pas précisément d’objection fondamentale ; ce droit a de bons effets en Angleterre et en Amérique. Si la législation française était à faire, ce serait une doctrine à examiner ; mais à quoi bon soulever de pareils problèmes, quand on a les faits contre soi ? Si nous n’avons pas en France le droit illimité de tester, nous en avons un dont nous ne faisons presque pas usage, et qui au fond équivaut à peu de chose près à ce qu’on demande. Pouvoir