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à croire que les monographies françaises en particulier donnent une idée assez juste des faits généraux. Parmi les ouvriers de ville, quelques-uns souffrent ; d’autres, et surtout ceux de Paris, font d’excellentes affaires, quand ils ont de l’ordre. La condition des ouvriers ruraux est bien plus mauvaise : la moitié d’entre eux a tout juste de quoi vivre misérablement, l’autre moitié s’élève, à force d’économie, vers la propriété ; mais leur alimentation, même quand ils sont propriétaires, est inférieure à celle des ouvriers des villes. Les choses n’ont pas sensiblement changé depuis que M, de Gasparin évaluait ainsi le budget moyen d’une famille de cultivateurs français, composée de cinq personnes :

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Nourriture 478 fr.
Logis 30
Habillement 100
Chauffage et éclairage 10
Outils et ustensiles 20
Total 638 fr.


ou 1 franc 75 cent, par jour, représentant le salaire du père, de la mère et des enfans. Les chiffres de M. Le Play sont même au-dessous, et avec raison ; la moyenne donnée par M. de Gasparin m’a toujours paru un peu élevée.

Somme toute, les monographies de M. Le Play sont loin de présenter sous un mauvais jour l’existence des ouvriers européens. Sur 36,18 au moins vivent bien, 12 passablement, 6 seulement sont à plaindre. La palme du bien-être appartient au blanchisseur parisien ; les plus pauvres de tous sont parmi les journaliers de nos campagnes ; la France présente ainsi les deux termes extrêmes. Les paysans hongrois, russes, suédois, espagnols, sont infiniment au-dessus de la plupart des nôtres, comme vie matérielle. Parmi les ouvriers de ville, les Anglais viennent au premier rang après le blanchisseur parisien ; les plus malheureux sont le menuisier de Vienne (Autriche) et le tisserand de Mamers (Sarthe). La situation intermédiaire est occupée par ces catégories qui n’appartiennent complètement ni à la vie rurale ni à la vie industrielle. Il est à regretter que l’auteur n’ait pas complété son tableau par des Belges, des Hollandais et des Italiens. On doit regretter encore plus qu’il ne soit pas sorti d’Europe et qu’il n’ait pas étudié le farmer américain, ce représentant extrême de l’indépendance individuelle.

Comme condition morale, l’avantage revient aux Suisses, aux Suédois, aux Anglais et aux Français. Le plus pauvre paysan de l’Europe, le penty bas-breton, uniquement nourri d’orge et de sarrazin, trouve encore le moyen de faire des économies. Il n’y a rien de plus admirable dans cette longue série, le plus grand honneur appartient