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I.

Un mot d’abord sur la méthode. M. Le Play s’appuie sur cette idée éminemment juste, que les sciences sociales comme les sciences naturelles doivent procéder par la méthode d’observation, et qu’avant d’échafauder des théories il faut commencer par bien connaître les faits. Jusque-là rien que de conforme à la vérité, mais M. Le Play va plus loin. Il donne à entendre que jusqu’à lui les faits sont restés inconnus, inexplorés, et que de là viennent les controverses sur les questions économiques ; puis il fait une distinction entre les deux procédés communément employés, selon lui, pour observer les faits, les enquêtes directes et les recherches statistiques, et il n’hésite pas à donner la préférence aux premières sur les secondes. Que faut-il entendre par recherches statistiques et par enquêtes directes ? Lui-même va en donner les définitions.

« Les statistiques, dit-il, ont eu jusqu’à ce jour pour bases principales les documens fournis par l’autorité publique touchant le système financier, la défense du pays, l’administration de la justice, etc. L’origine officielle de ces documens, recueillis surtout dans les états où la centralisation administrative a pris un grand développement, leur communique un cachet spécial d’authenticité. Les statisticiens se sont donné la mission de coordonner ceux de ces résultats qui peuvent s’exprimer en chiffres, et ils en ont déduit des moyens assez exacts de comparer, sous divers rapports, la puissance relative des états. Cependant ces comparaisons n’ont pas toujours la justesse et l’étendue désirables. Les statisticiens ne disposent pas des moyens d’observation, et ils doivent se contenter de ceux qui sont mis en œuvre dans un but étranger à la science ; ils ne peuvent donc embrasser les branches les plus essentielles de l’activité sociale. Les tentatives faites pour rattacher à la statistique les opérations de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, ont ordinairement échoué. »

Voyons maintenant les enquêtes directes. « On ne s’y propose pas, dit-il, d’embrasser dans un cadre général toutes les questions sociales, on étudie chaque question séparément, en la circonscrivant autant que possible. Au lieu de considérer d’un point de vue unique l’ensemble d’un pays, on s’attache, autant que le comporte le sujet, à des cas particuliers ou à des localités spéciales qu’on envisage sous tous les aspects. L’observation n’est plus confiée à une multitude d’agens chargés d’exécuter un acte matériel ou de constater un fait avec une rigueur méthodique, mais à quelques hommes spéciaux versés dans la connaissance du sujet. On n’est plus obligé d’arriver aux faits spéciaux par des inductions plus ou moins éloignées, on les constate directement aux sources de l’observation. »