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ment le père Broullion n’hésite pas à dire qu’il fonde sur la crise actuelle l’espoir d’une époque glorieuse pour les missions : il pense que le renversement du vieil ordre de choses aplanira les voies au catholicisme, et que sur les ruines du paganisme oriental, ébranlé par cette dernière secousse, la croix s’élèvera triomphante. Il se peut qu’il en soit ainsi. La Chine s’agite, et, suivant le langage de la foi, Dieu la mène. Malheureusement il faut songer qu’après de nombreuses crises, analogues à celles dont nous sommes aujourd’hui témoins, et malgré les efforts d’une énergique propagande, l’immense population du Céleste Empire ne compte pas encore un million de chrétiens.

Si le catholicisme doit un jour régner sur la Chine, la mission du Kiang-nan aura sans doute à revendiquer une grande part dans l’honneur de la conquête. On a vu comment les jésuites se sont établis et organisés dans le diocèse que le saint-siége leur a rendu. Arrivés d’hier, ils sont déjà prêts à la lutte. Sans méconnaître l’habileté ni le dévouement des autres congrégations, on peut dire que nul ordre religieux ne possède au même degré que celui de saint Ignace la science apostolique. C’est par la domination des esprits que les jésuites arrivent à la conversion des âmes. Il ne leur suffit pas de prêcher l’Évangile, de baptiser, de prier ; ils savent que les intérêts matériels tiennent une large place dans l’économie de toute société, et ils se mêlent hardiment aux affaires du monde pour mieux servir la cause du ciel. En Chine, où le culte des lettres est pour ainsi dire une institution, ils ouvrent des écoles, des collèges dans lesquels la génération qu’ils veulent convertir trouvera parmi les livres classiques les écrits de Confucius. Ce n’est pas tout : ils observent attentivement la marche de la politique européenne, que peut-être ils aspireraient à diriger dans ses rapports avec le Céleste Empire, et ils n’ont garde de négliger, comme choses secondaires, les investigations commerciales. Ce qu’ils ne peuvent faire par eux-mêmes, ils le conseillent aux autorités temporelles ; quand l’action directe leur est interdite, ils ont recours à l’influence. Nous lisons par exemple dans le mémoire du père Broullion des réflexions très-intéressantes sur la politique française en Chine, sur le rôle de notre navigation et de notre commerce, sur les fautes commises dans le passé, sur la conduite à tenir désormais. Le père Broullion rappelle avec raison que la France doit aux missions catholiques le haut renom dont elle jouit encore dans les pays de l’extrême Orient ; il demande qu’elle s’y montre plus hardie dans sa politique, plus entreprenante dans son commerce. Les missions profiteraient à leur tour des progrès accomplis par la France dans des pays où la prépondérance commerciale et maritime appartient aujourd’hui presque exclusivement aux nations protestantes. En donnant des conseils sur de pareils sujets,