Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/540

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gumistes, qui se réunit de même une fois l’an dans un festin dont les journaux ne manquent jamais de publier le menu, assaisonné de mille commentaires sur l’originalité de ces vertueux convives. Les légumistes de Londres n’ont rien inventé : ce ne sont que de serviles imitateurs des mangeurs d’herbe. — Après tout, la secte est assez innocente. Les jésuites opèrent dans son sein de fréquentes conversions, dont le premier acte se passe nécessairement à table. Le père Brouillon cite un néophyte qui, pendant vingt-sept ans, avait fidèlement suivi le régime de la secte, et qui, après ce long jeûne, a embrassé la foi chrétienne.

Les autres sectes, qui pullulent dans le Céleste Empire, sont plus rebelles à l’action du catholicisme et plus dangereuses pour le gouvernement. Elles se confondent avec les sociétés secrètes, qui, là comme ailleurs, appellent volontiers à leur aide la superstition et le fanatisme religieux pour mieux couvrir leurs projets de révolutions politiques ou de rénovation sociale. Il est probable que les sectaires de toute espèce ont fourni un fort contingent à l’insurrection actuelle, et que, sans se préoccuper d’abord de la diversité et de la contradiction de leurs croyances respectives, ils se sont coalisés contre le gouvernement tartare, sauf à se retourner ensuite les uns contre les autres après la chute de l’ennemi commun. L’opinion des missionnaires catholiques sur le caractère de ce mouvement est intéressante à connaître ; le père Broullion exprime à cet égard un avis conforme à celui du père Huc. Les deux prêtres, l’un de la compagnie de Jésus, l’autre de la congrégation de Saint-Lazare, celui-ci ayant parcouru le nord-est de la Chine, celui-là les provinces de l’ouest et du sud, sont d’accord pour attribuer à la corruption et à l’incurie du gouvernement tartare l’origine de l’insurrection, et pour déclarer que les doctrines religieuses prêchées dans les proclamations des chefs ne procèdent directement ni du catholicisme, ni du protestantisme, comme on l’avait pensé au début de la lutte. Ce n’est point que les idées chrétiennes, introduites depuis trois siècles à l’intérieur de l’empire, aient été absolument sans influence sur les événemens : on en retrouve l’empreinte, plus ou moins vague, dans les brochures qui ont été distribuées aux soldats de Tae-ping, et il est certain que les rédacteurs de ces livres bizarres ont eu sous les yeux de nombreux fragmens de la Bible ; mais le travestissement des dogmes est si grossier, qu’il n’y aurait ni honneur ni profit pour le christianisme à s’attribuer une part considérable d’initiative ou d’impulsion dans le mouvement révolutionnaire. La question paraît aujourd’hui décidée. La prétendue religion des rebelles n’est qu’un mélange confus de croyances empruntées aux différentes religions qui ont été prêchées en Chine, — au judaïsme et au mahométisme comme au christianisme. Il y a de tout, mais ce n’est rien. Seule-