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les tuiles badigeonnées, les murs blanchis, et toutes les briques de la bâtisse soutenues par de longs poteaux chevillés à des traverses horizontales. S’il y a un pavé, il n’est que de briques. Presque nulle part on ne voit forme de sanctuaire, car il importe qu’on puisse, en une demi-heure, convertir l’église en salle de réception, quand l’orage gronde et que les satellites font irruption. Naguère, un prêtre, ayant célébré la messe de Pâques dans le faubourg d’une grande ville, n’eut que le temps d’ôter son aube et d’enlever les vases sacrés : le kum-sou, envahi par les païens, fut pillé tout entier. L’architecture chrétienne nous est donc interdite par la prudence non moins que par la pauvreté. » — Aussitôt que l’arrivée du missionnaire est annoncée, les chrétiens accourent des points les plus éloignés du district, et se réunissent dans le kum-sou. On célèbre la messe : sauf le tsi-kin, coiffure chinoise qui était réservée aux docteurs impériaux sous la dynastie des Mings, et que les missionnaires catholiques ont obtenu du saint-siége l’autorisation de porter, le costume du prêtre est le même qu’en Europe. Les chrétiens se cotisent pour subvenir aux frais de la mission. Dès qu’il a visité un kum-sou, le missionnaire passe à un autre, et il ne se repose que pendant les mois de juillet et août, saison des grandes chaleurs. Sur cinq points seulement, un prêtre réside à poste fixe : partout ailleurs le missionnaire est nomade, et consacre dix mois de l’année à parcourir les églises du district fort étendu qui lui est confié. De 1851 à 1852, le père Brouillon visita ainsi trois cent soixante-neuf chrétientés.

J’ai vu en 1845, près de Shanghai, trois paroisses chinoises, fondées par les jésuites. Mgr de Besi était heureux de montrer à l’ambassade française les premiers résultats de la nouvelle mission. Les états-majors des navires de guerre qui, depuis cette époque, se sont arrêtés à Shanghai ont été également accueillis dans ces jeunes chrétientés, et on peut lire dans le voyage de M. Jurien de la Gravière un intéressant récit de l’excursion faite à Zi-ka-wei par les officiers de la Bayonnaise[1]. Ce qui me frappa surtout en 1845, ce fut la liberté absolue dont semblaient jouir ces villages catholiques pour la pratique de leur religion. On nous introduisit dans deux églises décorées de tous les ornemens du culte. Ces églises étaient desservies par des prêtres chinois, assistés de plusieurs catéchistes. Évidemment elles n’avaient point échappé à la surveillance des mandarins, peut-être même y avait-il de la part des jésuites un peu de bravade et beaucoup de politique dans cette occupation, très pacifique au reste, d’un territoire dont les lois du pays leur interdisaient l’accès. Ils se sentaient forts du voisinage de Shanghai, où résidaient

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 mars 1852.