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gneurs portaient des habits superbes. Si après avoir lu dans le livre du père de Rhodes ces descriptions presque pompeuses, on envisage dans leur état actuel la Cochinchine et le Tonkin, on voit que ces deux royaumes ont depuis le xviie siècle singulièrement dégénéré. Sans contester la véracité du pieux missionnaire, il est permis de penser que peut-être sa narration se ressent à un certain degré des impressions trop bienveillantes que laisse souvent au voyageur le souvenir d’un pays lointain ; mais, alors même qu’il y aurait un peu d’exagération dans les détails, on doit admettre que le fond du tableau est vrai, et que ces régions à peine connues aujourd’hui ont eu leur temps de prospérité et de grandeur. N’est-ce point d’ailleurs un fait général que la décadence des empires de l’extrême Orient ? Ce fait ne s’est-il pas également manifesté en Chine, où l’on sait que pendant des siècles, qui sont déjà bien loin de nous, le génie humain a brillé du plus vif éclat ? Les missionnaires du xviie siècle ont vu les dernières lueurs de la civilisation qui a éclairé ces contrées de l’Asie : ce n’est pas leur faute si leurs peintures ont cessé d’être exactes.

Le père de Rhodes fit cinq voyages en Cochinchine. Là, comme au Tonkin, il eut à subir les fortunes les plus diverses. Tantôt il jouissait de la faveur des princes, auxquels il enseignait en retour « quelques secrets de la mathématique ; » il baptisait et prêchait librement ; il obtenait même des prosélytes parmi les dames de la cour, conquêtes précieuses pour la foi : c’étaient les beaux jours de la mission. Tantôt le vent de la persécution s’élevait contre l’église naissante et dispersait les fidèles : il fallait que le missionnaire rentrât dans l’ombre ; alors recommençaient pour lui les prédications secrètes, les confessions et les messes nocturnes, les fuites précipitées à l’approche des satellites, et les sereines anxiétés d’une âme partagée entre l’ardeur du martyre et la crainte d’être enlevée avant l’heure au troupeau qui vit de son souffle. Touchantes épreuves que le père de Rhodes raconte non comme un homme qui a souffert, mais comme un apôtre qui aurait voulu souffrir plus encore ! Mais enfin combien il est récompensé par les conversions qu’il accomplit, par les actes de courage dont il est témoin et que la foi inspire, par les miracles visibles qui viennent aux momens de crise appuyer sa parole et attester le Dieu qu’il prêche ! Les miracles abondent dans le livre du père de Rhodes ; des malades à l’agonie guérissent par la vertu du baptême, des morts ressuscitent, des âmes possédées du démon sont délivrées par la grâce, des apparitions surnaturelles soutiennent la piété chancelante ou déconcertent les rébellions orgueilleuses. On croirait lire les récits de la première église, on retrouve presque les scènes mystérieuses des catacombes, l’appareil émouvant des persécutions romaines, le gracieux dévouement des femmes, la foi des riches et des puissans attiédie par le respect hu-