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l’âme fortifiée par un pèlerinage à Notre-Dame de Lorette, le jeune missionnaire traversa en plein hiver les neiges des Alpes, échappa, près de Lyon, à un groupe de calvinistes qui voulaient le jeter dans le Rhône, coupa « allègrement » par le Languedoc, fit son entrée à Saragosse le 1er janvier 1619, et fuyant Madrid, où peut-être on l’eût empêché, en sa qualité de Français, de passer aux Indes, se dirigea en toute hâte sur Lisbonne. Il n’avait pas mis moins de quatre mois et demi pour accomplir cette première partie du voyage. À Lisbonne, il se reposa de ses fatigues. Le père de Rhodes nous fait connaître qu’à cette époque les jésuites possédaient dans la capitale du Portugal quatre maisons « où, dit-il, nos pères travaillent fort utilement en toutes les choses qui sont propres à notre compagnie, laquelle embrasse tout ce qui peut servir au salut des âmes. » L’université de Coïmbre brillait également du plus vif éclat ; elle renfermait, lors de la visite du missionnaire, trois cents jésuites, riche pépinière de savans et d’apôtres, d’où la société expédiait par-delà les mers ses inépuisables rejetons.

Le Portugal était alors dans toute sa splendeur. La mer lui appartenait, et avec la mer le commerce du Nouveau-Monde et la propagande catholique. De Lisbonne partaient plusieurs fois l’an les paquebots de la foi chrétienne, avec leurs chargemens de moines pour les églises naissantes de l’Asie. On voyait dans son port, non plus les caravelles du temps de Colomb, ni ces frêles barques sur lesquelles avaient pâli les équipages de Gama, mais de grands et solides vaisseaux, que les progrès de l’art nautique avaient faits dignes de porter le pavillon du Portugal et de commander aux deux Océans. Ce fut sur le navire la Sainte-Thérèse que le père de Rhodes s’embarqua le 4 avril 1619. Il y avait à bord quatre cents personnes, parmi lesquelles on comptait six jésuites, trois prêtres et « trois autres qui étudiaient la philosophie. » Le capitaine du navire, François de Lirea, était un personnage de grande condition, car il n’y avait pas pour la noblesse portugaise de profession plus enviée que celle d’officier de marine. Le père de Rhodes se loue beaucoup de son capitaine, qui était fort pieux, assistait au catéchisme après dîner, faisait dire la messe tous les jours, pourvu qu’il n’y eût point de tempête, et présidait aux communions générales, de telle sorte que, suivant l’expression du missionnaire, la Sainte-Thérèse semblait être un monastère flottant. — Le 20 juillet, le cap de Bonne-Espérance, ce passage tant redouté, fut doublé sans péril, et l’on célébra une messe solennelle pour remercier la Providence de cette visible marque de protection ; mais le 25 survint une tempête qui ne dura pas moins de dix-huit jours, tempête si violente, que les passagers, désespérant de revoir jamais la terre, « ne pensaient plus qu’au paradis. » Les nuages ne furent dissipés que le jour de Sainte-Claire, et sans