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tout si cet homme est beau, et si elle ne peut se soustraire à sa présence. Emina n’échappa point à la loi commune. Peu à peu l’image du froid et moqueur Hamid s’empara exclusivement de sa pensée. Son sourire lui faisait toujours mal, et pourtant elle éprouvait le besoin de souffrir de ce mal, et à peine était-elle seule, qu’elle se demandait si ce sourire ne disparaîtrait jamais. Elle imaginait cent moyens de le mettre en fuite, et elle eût voulu se retrouver en présence de celui dont le cœur lui semblait une énigme qu’il eût été beau de deviner. Elle arrangeait dans son imagination des circonstances extraordinaires qui devaient la mettre en possession de cette clé introuvable, lui ouvrir les portes du palais mystérieux, l’initier à des secrets précieux. Que pense-t-il ? que pense-t-il de moi ? Pourquoi me traite-t-il toujours comme une enfant ? Pourquoi est-ce Ansha toute seule qui connaît ses pensées ? Pourquoi n’est-il sérieux qu’avec elle, et qu’ai~je donc de si risible, qu’il ne puisse me regarder comme il la regarde ? À force de se répéter tous les jours ces questions, il arriva qu’Hamid devint l’unique objet de ses rêveries et de ses rêves, et que Saed lui-même fut presque oublié. Elle ne s’en souvenait que pour comparer son regard attentif et passionné au regard sans âme qu’Hamid lui réservait.

Une fois cependant l’occasion se présenta pour Emina d’occuper enfin la position qu’elle ambitionnait ; mais cette occasion, elle ne sut pas la saisir. Un jour qu’Hamid, resté seul avec elle, avait épuisé le vieux thème de ses petites mains, de ses pieds mignons, de ses roses et de ses lis, il s’avisa, après un silence embarrassant pour tous les deux, de la questionner sur son enfance, sur les lieux qu’elle parcourait avec son troupeau, et sur la manière dont elle passait son temps.

— Tu devais bien t’ennuyer, pauvre petite, de n’avoir personne à qui parler ? Tu devais avoir peur aussi, la nuit, toute seule, dans ces montagnes ? N’as-tu jamais rencontré de loup ?

— Plus d’une fois, seigneur, mais je n’ai jamais eu peur.

— En vérité ? Et d’où te vient ce beau courage ? Te crois-tu de force à terrasser un loup ? Avec ces petites mains, ce n’est guère croyable.

Et les petites mains et les pieds mignons allaient rentrer en scène, si Emina, qui comprit le danger, ne l’eût conjuré en ajoutant : — Je n’avais pas peur, parce que je savais que Dieu était auprès de moi.

— Tu le savais, dis-tu ? Tu es bien savante en ce cas ! Et qui donc t’avait appris de si belles choses ?

— Personne que Dieu lui-même. Je savais qu’il était auprès de moi, parce que j’avais entendu sa voix.

La superstition est si naturelle et si générale en Orient, qu’en en-