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était en elle des regrets si légitimes en occupant la plus petite place possible dans cette affection si vivement convoitée. Ce plan était excellent sans doute ; il n’avait qu’un tout petit défaut, celui d’être impraticable.

Et d’abord, les regrets d’Ansha n’étaient pas, comme Emina le pensait, de nature amoureuse, puis Ansha n’était pas d’humeur à agréer les adoucissemens qu’Emina lui réservait. Enfin la pauvre fille présumait vraiment trop de ses propres forces, quand elle se promettait d’éviter le combat et de ne pas disputer à sa rivale le cœur de leur époux. Ces combats-là sont dans la nature des choses, et il n’appartient à personne de les refuser. Les enfans d’Hamid étaient, aux yeux d’Emina, des personnages sacrés auxquels elle ne se permettait pas de trouver le plus petit mot à dire ; mais cette fois encore l’abnégation était exorbitante, et devait nécessairement faire place à une appréciation mieux justifiée. Les deux plus jeunes conservèrent leur place dans le sanctuaire qu’Emina avait élevé tout exprès pour eux, mais les deux aînés en furent expulsés. Quant aux esclaves, Emina ne s’en occupa que pour tâcher de ne pas leur rendre la vie plus dure que cela n’était absolument indispensable. De leurs prétentions et de la haine que ces créatures lui avaient vouée à première vue, elle n’en conçut pas le plus léger soupçon. La négresse était la seule qui éprouvât quelque sympathie pour sa nouvelle maîtresse, sympathie qui n’était peut-être, après tout, qu’une forme de sa perpétuelle révolte contre la tyrannique Ansha. La Circassiemie enveloppa dans ses toiles d’araignée la seconde comme la première épouse ; quant à l’Abassa, elle subissait sans résistance l’impulsion donnée par sa maîtresse, et cette impulsion n’était pas favorable à Emina.

Je n’ai rien dit encore de la grand’mère d’Hamid-Bey, de celle qui avait reçu Emina sur le seuil du harem. C’était une bonne vieille dame qui ne se mêlait plus des intrigues féminines, et qui eût souhaité de bon cœur en préserver Emina : elle ne l’essaya pourtant pas, tant l’entreprise était hérissée d’obstacles ; elle se contenta de témoigner quelque tendresse à la pauvre enfant, sans se constituer ni son champion ni sa protectrice, ce qui était, après tout, la meilleure marche à suivre dans l’intérêt même d’Emina. Aussi la jeune femme s’attacha-t-elle profondément à cette prudente amie.

Tels étaient les habitans du harem. Il en est un cependant qui était appelé plus qu’aucun autre à exercer une influence décisive sur la destinée d’Emina. C’était Hamid-Bey lui-même. Quels rapports allaient s’établir entre le bey et sa jeune femme ? Nous savons qu’Emina n’avait jamais vu le bey avant le soir de ses noces, et Hamid-Bey n’était pas plus avancé en ce qui la concernait. La première impres-