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comme il arrive souvent dans les circonstances qui réclament le plus impérieusement des ressources d’éloquence, j’étais frappé d’une stérilité d’esprit invincible. Je cherchais vainement une entrée en matière vraisemblable, et plus je me dépitais de n’en trouver aucune, moins je devenais capable d’y réussir. J’étais d’ailleurs agité de réflexions aussi nouvelles que pénibles ; je suivais malgré moi l’ordre d’idées très imprévu où m’avaient jeté les étranges appréciations de Mme de Malouet. Je me demandais jusqu’à quel point ces appréciations pouvaient être fondées, et jusqu’à quel point, en ce cas, les conseils et la prudence de la marquise avaient été bien inspirés. Je me rappelais la vivacité hautaine, volontaire et capricieuse de la jeune femme qui était à mes côtés ; je voyais son air accablé et presque dompté. Tout cela me troublait et me touchait vaguement. L’abîme qui me sépare à jamais d’une telle personne n’en subsistait pas moins dans son immensité ; mais, si cela peut se dire, je sentais toujours entre nous la distance, et je ne sentais plus l’éloignement.

Mme de Palme, qui n’était pas initiée à mes secrètes méditations, et qui d’ailleurs n’en eût peut-être goûté que modérément les nuances les plus bienveillantes, finit par s’impatienter d’un silence au moins embarrassant. — Si nous courions un peu ? dit-elle tout à coup.

— Courons, dis-je, et nous partîmes au galop, ce qui me soulagea infiniment.

Cependant il fallut, bon gré, mal gré, ralentir notre allure au haut du chemin tortueux qui mène dans la vallée des Ruines, Le soin de guider nos chevaux dans le cours de cette descente difficile put encore, durant quelques minutes, servir de prétexte à mon mutisme ; mais eh arrivant sur le terre-plein de la vallée, je vis bien qu’il fallait parler à tout prix, et j’allais débuter par une banalité quelconque, lorsque Mme de Palme voulut bien me prévenir :

— On dit, monsieur, que vous avez beaucoup d’esprit ?

— Madame, répondis-je en riant, vous pouvez en juger.

— Difficilement jusqu’ici, quand même j’en serais capable, ce que vous êtes très éloigné de croire… Oh ! ne le niez pas ! C’est parfaitement inutile après la conversation que le hasard m’a fait entendre l’autre soir…

— Madame, j’ai commis tant de méprises sur votre compte, que vous devez vous expliquer la confusion pitoyable où je suis vis-à-vis de vous.

— Et sur quels points vous êtes vous mépris ?

— Sur tous, je crois.

— Vous n’en êtes pas bien sûr… Convenez au moins que je suis une bonne femme…