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abandonnant l’époux, il procède de la même manière avec la main du jeune garçon. La cérémonie est alors achevée, les rites sont accomplis, le mariage est célébré. Emina, qui est demeurée à quelques toises de là, parfaitement étrangère à tout ce qui s’est passé, n’est plus la jeune fille de tout à l’heure ; elle est femme, elle a un mari, un maître, et le muphti s’en va souper. Pendant ce temps, deux jeunes filles ont préparé la couche nuptiale avec tous les témoignages extérieurs de respect qu’exige un semblable autel. En posant à terre le matelas, elles se sont inclinées ; en plaçant les oreillers, elles se sont agenouillées ; en étendant les draps, elles ont baisé la terre ; en défaisant la couverture, elles ont recommencé à s’agenouiller et à se prosterner. Ceci achevé, elles quittent la chambre à reculons et vont chercher Emina, qu’elles conduisent au lieu du sacrifice, dans les bras de son heureux époux.

On me pardonnera de ne point suivre pas à pas, comme je l’ai fait jusqu’ici, Emina à partir de ce moment suprême. La petite bergère heureuse et innocente a cessé d’exister. On va faire connaissance avec la jeune femme esclave, avec ces agitations, ces tristesses de la vie de harem qui sont le vrai sujet de notre récit. Comment la première phase de son existence avait-elle préparé la fille d’Hassan à la seconde ? Avant de répondre et d’aller plus loin, il faut dire quelques mots de la famille dans laquelle Emina devait vivre désormais.

V.

J’ai dit qu’Hamid-Bey avait une première femme, que cette femme avait été d’abord sa belle-sœur, qu’elle était plus âgée que lui, et qu’elle ne lui donnait plus d’enfans depuis cinq ans. Il ne faudrait pourtant pas en conclure qu’Ansha fût une vieille femme, dépouillée de toute beauté. Ansha avait peut-être passé la trentaine, mais elle était encore fort belle, plus belle qu’elle ne l’était à quinze ans, beaucoup plus belle qu’Emina. Elle était grande et puissante, mais point obèse ni lourde. Elle était belle de la beauté de Junon, et c’est une beauté qui a son prix. Ses grands yeux noirs, largement fendus en amande, avaient conservé tout le feu de la jeunesse et de la passion. Son nez aquilin donnait à son visage cette expression ferme et hautaine qu’on attribue, je ne sais pourquoi, aux impératrices romaines, les plus légères et les moins inhumaines des femmes, si Tacite et Suétone n’en ont pas menti. Il fallait que sa bouche fût bien gracieuse et son sourire bien doux pour tempérer l’expression impérieuse de ce nez et de ce regard ; mais, quelque difficile que fût l’entreprise, la bouche et le sourire d’Ansha étaient en mesure de la mener à bonne fin. Un teint éblouissant complétait cette beauté,