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malgré sa monotonie. Deux femmes, ou deux hommes habillés en femmes, se placent au centre des spectateurs, qui font entendre une espèce de plain-chant. Les danseurs ou danseuses agitent leurs doigts comme s’ils jouaient des castagnettes, ce qui leur arrive bien quelquefois ; quelquefois aussi, à défaut de castagnettes, on se sert de deux cuillères de bois, qui, il faut bien l’avouer, font absolument le même effet. De toute façon le mouvement des mains et des doigts y est. On ne fait point de pas. Les danseuses se bornent à se poursuivre l’une l’autre, à tourner sur elles-mêmes et à remuer rapidement les hanches, tandis que le haut du corps est rejeté tantôt en arrière et tantôt de côté. La danse continue ainsi pendant des heures sans autre interruption que l’arrivée des rafraîchissemens, la pipe et le café.

Le soleil s’était couché pourtant, et le muphti était prêt pour la cérémonie. Qu’était devenu le fiancé, et pourquoi ne l’ai-je pas seulement nommé ? C’est que, selon l’étiquette turque, le fiancé demeure caché pendant toute la journée des noces. Il ne doit être aperçu ni de près ni de loin, ni par ses parens, ni par ses amis. Sa toilette est des plus simples, car pareil jour n’est pas un jour de fête pour lui, ce n’est pas même un jour mémorable. Ainsi le veut la dignité virile. La femme reçoit un honneur qu’elle ne peut trop reconnaître ni célébrer trop haut ; mais le mariage est pour l’homme un fait sans importance. Quand les acteurs et les spectateurs sont au complet, quand tout le monde a mangé, bu, fumé et dansé à satiété, quand le muphti a préparé sa pâte (on verra tout à l’heure de quoi il s’agit), et surtout lorsque le soleil est couché, on appelle l’époux, qui paraît enfin, triste et soucieux comme pour un enterrement. S’il lui arrivait de prononcer un mot, de laisser entrevoir un sourire, le monde entier crierait à l’oubli des convenances. Hamid-Bey n’avait garde de s’exposer à ce reproche : il se respectait assez pour savoir être maussade lorsque les circonstances l’exigeaient, et plus souvent encore.

L’époux arrive, ai-je dit, tenant par la main un jeune garçon qui représente la fiancée absente. Le muphti prononce quelques paroles sacramentelles, et on lui apporte un plat sur lequel est du henné délayé dans de l’eau. L’époux tend la main au muphti, qui la prend, la ferme comme pour la mettre en mesure de donner un coup de poing, puis avec son index glisse dans ce poing fermé une boulette de henné qu’il fixe sur la paume de la main. Retirant ensuite le doigt de cet étau vivant et prenant une seconde boulette de la même pâte, il s’en sert pour coller en quelque sorte le pouce de l’époux sur le poing toujours fermé. Il enveloppe la main ainsi empâtée dans un mouchoir qu’il roule autour du poignet à plusieurs reprises, et,