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meurt pas de faim pour cela, car tant qu’il a des bras, de la terre devant lui, et des bois par derrière, il est assuré de récolter assez d’orge, de blé, de millet et de courges pour suffire à sa consommation, et d’abriter sa tête sous les poutres et sous les planches qu’il a coupées dans la forêt. Reste le chapitre de la toilette, et je mets en fait que tous les accoutremens à l’usage des deux sexes ne sont jamais achetés qu’avec de l’argent emprunté ; j’en dirais volontiers autant des instrumens de labour et du bétail. Hassana n’était pas homme à échapper à la loi générale. Il s’était endetté à la mort de son père, à son premier mariage, lors de son veuvage et lors de son second mariage, sans compter les cas extraordinaires, les accidens, les maladies, les mauvaises années, les bêtes mangées par les loups, etc. Aussi devait-il de l’argent à son voisin de droite, à son voisin de gauche, au mogtar de son village, et surtout au banquier du gouvernement, sorte de receveur chargé de percevoir le tribut et de le transmettre à la capitale ; mais le créancier qui à lui tout seul inquiétait Hassana plus que tous les autres réunis, c’était un certain bey des environs, qui avait eu soin d’assurer sa créance sur les terres d’Hassana. Ce bey s’était tenu tranquille pendant plusieurs années. Néanmoins cette réserve discrète des temps passés rendait ses exigences actuelles encore plus effrayantes, car on n’avait pas la consolation de se dire : Il se calmera, comme cela lui est arrivé déjà tant de fois !

Hamid-Bey avait depuis peu prévenu Hassana que son argent lui étant nécessaire, il était décidé à ne rien négliger pour rentrer dans ses fonds. L’avertissement avait été réitéré plus d’une fois, et Hassana était au désespoir. Malgré ses courses multipliées et ses tentatives incessantes, il n’avait pu compléter la somme due à Hamid-Bey, et les quelques piastres qu’il avait récoltées lui avaient été octroyées à quelque chose comme 80 pour 100 d’intérêt. Ce fut sur ces entrefaites, et lorsque le désespoir d’Hassana était à son comble, qu’Hamid-Bey se présenta chez lui, et lui tint à peu près ce langage.

— Noble Hassana, mon cher ami, mon âme, voulez-vous ou ne voulez-vous pas me payer ? Voilà bien des fois que je vous adresse la même question.

— Votre excellence peut-elle douter de mes bonnes et loyales intentions ? Que votre excellence me rende la justice de croire que mon vœu le plus ardent est d’accord avec le sien à ce sujet. Je suis, grâce à Dieu, en mesure aujourd’hui de conformer mes actions à mes discours.

Hamid-Bey ouvrit de très grands yeux.

— Oui, excellence, quoique je ne sois pas encore en état de m’ac-