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— Non, Saed, repiit Emina d’un air grave et quelque peu sévère, ce n’est pas cela que tu dois dire et ce n’est pas cette réflexion qui t’a retenu, ou bien il me serait impossible de t’aimer ; la vérité est que tu as eu peur. Eh bien ! viens ici, je vais te dire quelque chose qui te donnera du cœur à l’avenir. Je t’entends souvent dire : hich Allah ! mach Allah ! comme mon père, comme ma mère, comme tout le monde enfin ; mais as-tu jamais réfléchi à ce que ces mots signifient ? Je parierais que non, ou bien tu les prononcerais d’une autre façon. Quand tu dis : Que la volonté de Dieu soit faite ! tu crois que Dieu veut ton bien ; quand tu dis : Dieu soit loué ! tu reconnais que Dieu t’a accordé un don, un bienfait. Tu ne t’en rends pas compte, mais ces mots n’ont pas d’autre sens. Sache donc qu’en effet Dieu ne nous perd pas de vue une seule minute, ni toi, ni moi, ni aucune créature humaine, ni aucun animal petit ou grand, beau ou laid. Les arbres, les rivières, les champs, les étoiles, tout est dans l’œil et dans le cœur de Dieu ; mais plus une de ses créatures est bonne et plus le cœur de Dieu est tendre pour elle, ce qui se comprend de soi-même, car il est naturel d’aimer ce qui est bon et de préférer ce qui est meilleur.

— Qui donc t’a enseigné tout cela ? fit Saed.

— Personne, répliqua Emina ; mais si je suis convaincue que Dieu nous vient en aide dans nos dangers et qu’il nous suggère les moyens de les éviter, c’est que moi-même j’ai reçu ses avis, et aussi parce que j’ai vu comment il fait parvenir à d’autres êtres ces mêmes conseils et ces mêmes leçons. M’entends-tu, Saed ? Pourquoi me regarder avec des yeux qui te sortent de la tête ? Me comprends-tu ?

— Je crois que oui, et en tout cas je t’écoute. Mais comment sais-tu que ces avis dont tu parles te viennent de Dieu ? Je sais bien que les derviches adressent des questions à Dieu, qui leur répond et qui fait d’ailleurs tout ce qu’ils désirent ; mais toi, Emina, tu es une femme et non pas un derviche ; tu n’as pas le sel de la Mecque, ni la pierre verte, ni…

— Je ne sais ce que font les derviches, reprit Emina, et je comprends que certains hommes entendent la voix de Dieu plus souvent que d’autres. Pour ce qui est de moi, je sais que certains avis me sont venus de Dieu, parce qu’ils ne pouvaient me venir d’ailleurs, et aussi parce qu’ils étaient si sages, si opportuns, si nécessaires, que nul autre que le Dieu tout-puissant et tout miséricordieux ne pouvait me les envoyer. Toi-même, si jamais un péril te menace, adresse-toi à Dieu, tu l’écouteras, et tu le laisseras faire. Je ne te demande que cela ! Écoute la voix qui te parle dans ton cœur, c’est la voix de Dieu.

Malgré les avertissemens d’Emina et la bonne volonté de Saed,