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un négociateur tel que M. Cobden, qui se montre si facile, quand il s’agit pourtant des plus grands intérêts du monde.

Si la guerre est en Angleterre un sujet de vive et persistante émotion, elle ne l’est pas moins en France, et cette préoccupation n’a été un moment balancée que par la diversion tout intérieure et inattendue qu’est venu causer un article du Moniteur sur les institutions fondées en 1852, sur le rôle des grands pouvoirs publics et du sénat en particulier. Il serait facile d’en conclure, il nous paraît, que les corps politiques n’entrent pas tout d’un coup dans l’esprit de leur rôle et qu’ils risquent de se tromper, même quand ils évitent le plus possible de faire parler d’eux. Le sénat, selon le publiciste officiel, est avant tout une grande autorité politique et morale, qui, dans les temps réguliers, peut suggérer toutes les grandes mesures d’utilité publique et donner le signal de réformes attendues par l’opinion, qui arrête le pouvoir quand il s’égare et le stimule quand il s’endort. C’est cet idéal que le sénat actuel ne semble pas avoir entièrement compris, et qu’il a peut-être confondu avec les habitudes de l’ancienne pairie. Si le sénat a imité l’ancienne pairie, c’est certainement, selon ce qu’on en peut voir, aussi peu que possible, et comme d’un autre côté il ne paraît pas s’être complètement conforme à la pensée de son institution, son rôle ne laisse point d’être assez particulier. Cela peut prouver tout au moins que les institutions ne marchent pas toutes seules, et qu’elles ne sont en définitive que ce que les hommes les font : elles tendent invinciblement à garder le caractère que les temps leur impriment.

Voilà comment les époques et les régimes se succèdent sans se ressembler. On rappelle aujourd’hui aux corps politiques qu’ils ne font point assez, comme on leur reprochait autrefois de trop remplir la scène de leur bruit, d’usurper les prérogatives du pouvoir souverain et de substituer l’agitation au mouvement régulier d’une vie féconde. Chaque époque a son empreinte ineffaçable. Le caractère de celle qui a précédé à peu d’intervalle le moment où nous vivons, c’est la lutte en toute chose, la lutte des systèmes et des partis, et même des passions, une émulation universelle d’activité, souvent utile, parfois périlleuse toujours ardente et singulièrement propre à entretenir l’humeur militante des intelligences. Comme bien d’autres, M. Léon Faucher datait de ce temps par les idées et les habitudes d’esprit, quoiqu’il ait grandi surtout comme homme public dans la révolution qui est brusquement survenue. Il y a un an à peine, il mourait jeune encore, au milieu d’une carrière parcourue avec honneur, et qu’il était de trempe à suivre jusqu’au bout. Aujourd’hui on rassemble et on publie les œuvres qu’il a laissées, — œuvres qui sont à la fois les témoignages survivans de sa pensée active et un des élémens de l’histoire des hommes et des opinions de notre temps. L’ensemble de ces travaux maintenant réunis laisse bien voir la vraie nature de ce talent ; C’est un économiste sans doute qui écrit ces pages sur des matières si diverses ; mais quand il cherche à démêler les ressorts de la civilisation anglaise, ou quand il aborde tous ces problèmes de l’industrie et du travail sous lesquels la France a été près de fléchir, il écrit moins en économiste théorique qu’en homme politique qui observe les faits, rapproche toutes les conditions de l’existence d’un pays, et ne se