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déclarant que j’avais évidemment des dispositions pour la danse et me rappelant l’agilité dont j’avais donné des preuves dans la forêt. Enfin, pour terminer le débat, elle m’entraîna familièrement par le bras en ajoutant qu’elle n’avait pas l’habitude de se voir refusée.

— Ni moi, madame, dis-je, celle de me donner en spectacle.

— Quoi ! pas même pour me plaire ?

— Pas même pour cela, madame, et quand même ce serait l’unique moyen d’y réussir. — Je la saluai en souriant sur ces mots que j’avais accentués d’une manière si positive, qu’elle n’insista plus. Elle quitta mon bras brusquement et alla rejoindre un groupe de danseurs qui nous observait de loin avec un intérêt manifeste. Elle y fut accueillie par des chuchottemens et des sourires, auxquels elle répondit par quelques phrases rapides, dont je n’entendis que le mot revanche. Je n’y fis pas autrement attention pour l’instant, et mon âme alla s’entretenir dans les nuages avec l’âme de Mme  Durmaître.

Le lendemain, une grande chasse devait avoir lieu dans la forêt. Je m’étais arrangé pour n’y point prendre part, voulant profiter d’une journée entière de solitude pour pousser mon malheureux travail. Vers midi, les chasseurs se réunirent dans la cour du château, qui retentit pendant un quart d’heure du son éclatant des trompes, du piétinement des chevaux et des aboiemens de la meute. Puis cette mêlée tumultueuse s’engouffra dans l’avenue ; le bruit s’éteignit peu à peu, et je demeurai maître de moi et de mon esprit dans un silence d’autant plus doux qu’il est singulièrement rare sous ce méridien.

Je jouissais depuis quelques minutes de mon isolement, et je feuilletais, en souriant à mon bonheur, les pages in-folio de la Neustria pia, quand je crus entendre un cheval galoper dans l’avenue, et bientôt après sur le pavé de la cour. Quelque chasseur en retard ! me dis-je à part moi, et, prenant ma plume, je commençai à extraire de l’énorme volume le passage relatif aux chapitres généraux des bénédictins ; mais une nouvelle et plus grave interruption vint m’affliger : on frappait à la porte de la bibliothèque. Je secouai la tête avec humeur, et je dis : entrez ! — du ton dont j’aurais pu dire : sortez ! — On entra. J’avais vu peu d’instans auparavant Mme  de Palme prendre son vol avec ses plumes en tête de la cavalcade, et je ne fus pas médiocrement surpris de la retrouver à deux pas de moi, dès que la porte se fut ouverte. — Elle avait la tête nue et les cheveux attifés en arrière d’une façon bizarre : elle tenait d’une main sa cravache et relevait de l’autre la queue traînante de ses longues jupes d’amazone. L’animation de la course qu’elle venait de faire semblait encore exagérer l’expression d’audace qui est habituelle à son regard et à ses traits. Et pourtant sa voix était moins