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offrent au philosophe, au poète, un sens symbolique. Le seul tort de M. de Laprade est d’avoir trop compté sur la pénétration de ses lecteurs. À mon avis, la méthode la plus sûre pour se concilier la sympathie et l’approbation du plus grand nombre serait d’indiquer et non d’exprimer formellement l’interprétation trouvée. De cette façon les intelligences les plus rétives, les plus paresseuses, une fois mises sur la voie, s’achemineraient d’elles-mêmes vers le but qu’elles croiraient avoir découvert. Livrées à leurs propres forces, elles n’en sauraient jamais autant que le poète et le philosophe, mais du moins elles ne seraient ni rebutées, ni découragées par l’austérité de la pensée. La part de vérité qu’elles posséderaient contenterait leur orgueil, et chaque leçon nouvelle, pourvu qu’elle fût déguisée, obtiendrait leur attention et leur assiduité.

Que M. de Laprade ne s’y trompe pas : s’il n’a pas encore conquis la renommée telle qu’il la souhaite, il a fait pour la mériter des efforts dont il n’a pas à se repentir. Les pages qu’il a écrites sont souvent égales et parfois supérieures à bien des pages applaudies. Il dit pour émouvoir, pour persuader, tout ce qu’il faut dire ; mais il ne s’arrête pas toujours à temps et ne s’interdit pas avec assez de soin les paroles superflues, et par cette expression je désigne les paroles qui n’ajoutent rien à l’effet poétique. Qu’il resserre sa pensée dans des limites plus étroites, qu’il raconte et qu’il peigne ce qu’il a vu, ce qu’il a senti ; qu’il s’adresse au cœur, à l’imagination, et néglige de convaincre à la manière des philosophes : le plus grand nombre des lecteurs lui saura gré de sa condescendance. Parmi les poètes de ce temps et, j’en sais bien peu à qui pourraient s’appliquer ces paroles. Le cœur n’a pas grand’chose à démêler avec la plupart des livres qui se publient sous le nom de poèmes, et la philosophie n’y tient pas une trop grande place. Il n’y a guère que l’imagination qui puisse y trouver son compte, pourvu qu’elle ne soit pas contenue par un goût trop sévère. À quoi se réduit le conseil que j’adresse à M. de Laprade ? Je ne lui demande pas d’étendre le champ de sa pensée, je ne l’invite pas à viser plus haut, je ne lui propose pas un but placé plus loin de lui. Je reconnais dans ses œuvres toutes les facultés dont se compose le vrai poète. Qu’il se contente à moindres frais, qu’il vise plus près de lui, et sous-entende au lieu de l’exprimer le sens qu’il attribue aux actions humaines. Qu’il émeuve sans essayer de convaincre, et la renommée ne lui manquera pas.


Gustave Planche.