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chrétiennes, c’est une vérité que je renonce à démontrer. Quiconque a lu l’Évangile sait à quoi s’en tenir à cet égard. Personne ne peut contester qu’il ne se trouve dans saint Luc et dans saint Matthieu, dans saint Marc et dans saint Jean, des sources fécondes où la poésie a le droit de puiser ; mais si tous les bons esprits sont d’accord sur ce point, les avis se partagent quant au choix à faire. Si l’on prend la peine d’étudier la question à loisir, je crois que tous les avis se réuniront en un seul : la poésie, ne peut employer avec fruit que la partie merveilleuse des traditions chrétiennes. Si elle s’aventure sur le terrain de la théologie, il est à peu près certain qu’elle trébuchera. Elle pourra trouver pour les dogmes les plus mystérieux des expressions éloquentes, obtenir l’approbation de l’église, étonner les penseurs les plus indépendans par la forme précise qu’elle aura su donner aux décisions des conciles : elle n’obtiendra ni popularité, ni puissance ; elle n’agira pas sur la foule ; elle aura dénaturé à son insu la mission qui lui est dévolue. Si elle consent au contraire à se renfermer, dans la partie merveilleuse des traditions chrétiennes, tous les obstacles s’aplanissent devant elle. Une foule docile, attentive, recueille avidement toutes ses paroles. Toutes les imaginations sont séduites, toutes les intelligences, depuis les plus ignorantes jusqu’aux plus éclairées, suivent sans distraction le développement d’une donnée surnaturelle, pourvu que cette donnée ne soit pas dogmatique. Il ne s’agit pas ici de savoir si l’église prescrit avec la même rigueur l’acceptation des récits merveilleux et celle des dogmes interprétés par les conciles : cette question n’est pas de celles que nous avons à résoudre. Notre unique devoir est d’envisager les traditions chrétiennes au point de vue poétique. Or je crois pouvoir affirmer que si la partie merveilleuse de ces traditions offre à l’imagination un thème riche, un thème splendide, la partie dogmatique est loin de présenter les mêmes ressources. C’est pour avoir négligé cette distinction que M. de Laprade n’a pas tiré de la religion tout ce qu’il pouvait tirer. Il a dit des choses excellentes dans une langue harmonieuse, et la foule n’a guère compris que la moitié de sa pensée. Si au lieu d’aborder le dogme il s’en fût tenu au côté merveilleux, il aurait conquis sans effort l’attention unanime de ses lecteurs.

S’il y a deux parts à faire dans la religion dès qu’on veut l’introduire dans le domaine poétique, la philosophie tout entière ne se prête pas à la forme lyrique, épique ou dramatique. Mettez-vous en possession des plus hautes vérités découvertes par la raison livrée Il ses seules forces, devenez savant dans la plus haute acception du mot avant d’aborder l’apostolat poétique, je ne vous blâmerai pas ; mais sachez que la philosophie, malgré tous les artifices du langage,