accrédite leurs maximes impuissantes. Animé de sentimens chrétiens, nourri de philosophie, attaché aux progrès de la civilisation par une foi sérieuse, il glorifie la solitude comme le ferait l’orgueil qui se réfugie dans l’inaction pour échapper à la risée en affirmant qu’il dédaigne la gloire. Malgré l’excellence et la pureté de ses intentions, je crains que le charme de ses vers n’égare plus d’un esprit crédule. Il parle de la corruption des villes avec tant d’amertume et de colère, il célèbre avec tant d’ivresse et de fierté la grandeur, la sainteté de la solitude, que la rêverie et l’oisiveté deviennent, sans qu’il y songe, des vertus supérieures. Aimer, comprendre et vouloir ne sont plus que l’apanage des natures vulgaires. Contempler les premiers rayons du soleil, ou suivre d’un œil distrait l’ombre qui envahit les plaines lointaines, dédaigner comme une poussière inutile tous les liens de la famille, traiter avec un mépris superbe tous les élans de l’homme vers la liberté, ou ne voir la liberté que dans la solitude, demander à la solitude le repos et le bonheur, c’est une seule et même chose. M. de Laprade ne s’en est pas aperçu. En écrivant sa Symphonie alpestre, il ne songeait pas à maudire la civilisation ; il ne voulait que célébrer les délices de l’isolement pour une âme contristée par le vice : but légitime, mais il a dépassé le but.
Après avoir étudié toutes les œuvres de M. de Laprade, il nous reste une autre tâche à remplir. Il s’agit de déterminer son rang dans la littérature contemporaine. Les prémisses que nous avons posées sont d’une nature assez sévère pour qu’on n’ait pas à redouter une conclusion d’une extrême indulgence. Nous avons dit sans réserve, sans réticence, tout ce que nous pensons de Psyché, des Odes et Poèmes, des Poèmes évangéliques, des Symphonies. Nous avons relevé toutes les fautes qui blessent le goût. Il serait possible qu’on se méprît sur le sens de notre blâme, et nous tenons à ne laisser aucun doute sur la portée de notre pensée. Malgré toutes les objections que nous avons exposées avec une complète sincérité, dont nous ne voulons pas atténuer la valeur, M. de Laprade est à nos yeux un des poètes les plus éminens de ce temps-ci. Nous croyons seulement qu’il n’applique pas de la manière la plus heureuse les hautes facultés qu’il a reçues en naissant. Avec ce qu’il sait, ce qu’il sent et ce qu’il pense, avec les paysages qu’il a contemplés, les épreuves qu’il a traversées, les affections dont il s’entoure, il lui serait facile d’écrire des œuvres plus claires, qui agiraient plus sûrement sur la foule tout en gardant l’estime des connaisseurs. Pour comprendre pleinement la légitimité de cette affirmation, il est nécessaire d’examiner l’emploi poétique de la religion et de la philosophie. Que les poètes puissent et doivent s’adresser aux traditions