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du Torrent, pour peu qu’on prenne la peine de la relire, il me semble difficile de ne pas s’associer à ma pensée. L’identité de langage frappe les esprits les moins exercés, et j’aime à croire que M. de Laprade n’a pas commis volontairement la faute que je signale. Tout entier à l’expression de sa pensée, il a négligé à son insu le dessin des personnages, qui ne pouvait se compléter que par la diversité des accens.

Dans la Symphonie des Morts, la tristesse de la nature répète comme un écho fidèle la tristesse du poète. C’est une femme qui est chargée de traduire la pensée de l’auteur. Nous sommes en novembre, et l’hiver a déjà glacé l’atmosphère. Le promeneur solitaire qui veut encore revoir les allées témoins de ses jeunes espérances ne foule aux pieds que des feuilles mortes. La nature entière est en deuil. C’est la fête des morts, et l’église entonne ses prières pour obtenir de la clémence divine le repos de leurs âmes. M. de Laprade, malgré la foi qui l’anime, n’a pas insisté sur le côté religieux du sujet. Edith en face de la neige et de la brume, seule avec ses souvenirs, parle des amis qui ne sont plus, des affections brisées par la mort, de l’aïeul assis au foyer, bénissant d’une main défaillante le fils qu’il ne verra pas grandir, et le désespoir domine son cœur presque entier. Si elle ne se laisse pas emporter jusqu’au doute moqueur, jusqu’à l’impiété, jusqu’au blasphème, les paroles qui s’échappent de ses lèvres sont empreintes pourtant d’une sinistre amertume. Elle pense à haute voix et se raconte à elle même toutes les espérances qui ont bercé sa jeunesse. Maintenant la mort a fait la solitude autour d’elle ; tout ce qu’elle aimait, tout ce qui lui donnait courage s’est évanoui comme une ombre. Elle jette sur le passé un regard morne et désolé, car l’avenir n’éveille pas dans son cœur de nouvelles espérances. Il règne dans toute cette composition un accent de sincérité que j’ai rencontré rarement dans les œuvres du même genre. Les vers que nous lisons aujourd’hui se rapportent sans doute à des souvenirs personnels, et l’auteur n’a fait que poétiser ses impressions. Le bruit des feuilles sèches, le craquement des branches couvertes de givre, la brume épaisse qui envahit la plaine, tout est retracé avec une fidélité qui n’appartient pas à la pure fantaisie. Il y a dans ces pages un accent de douleur que l’imagination la plus habile n’inventera jamais. Les artifices de la parole n’ont rien à démêler avec les strophes de cette symphonie funèbre. Ce que le poète exprime simplement, avec une grandeur austère, sans vains ornemens, il l’a senti. Edith, qui lui sert d’interprète, ne parle pas comme une femme qui n’a connu d’autre enseignement que la souffrance, mais comme un cœur préparé, à toutes les épreuves par la solitude et la réflexion. Ce cœur qui déborde et qui associe sa plainte à la plainte universelle de la nature a presque autant de colère que