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bruits, c’est son droit, et j’aurais mauvaise grâce à le chicaner sur une telle prétention ; mais qu’il prête la parole au chêne et au roseau ; à l’herbe et à la fleur, à l’avalanche et au glacier, c’est une prétention bien autrement hardie. Qu’il en fasse de vrais personnages, animés de nos passions, éclairés de nos pensées, affligés de nos douleurs, consolés par nos espérances, je ne crois pas que la poésie ait grand’ chose à gagner dans cette transformation. Si le cadre où l’homme est placé, si le pré qu’il foule aux pieds, si la forêt qui l’abrite de son ombre, se mettent à parler comme lui, si le vent et la rosée devinent sa pensée, s’entretiennent avec lui comme un ami qui aurait reçu ses confidences, le lecteur démêle à grand’peine l’intention du poète. Ou je m’abuse étrangement, ou cette méthode ne pourra jamais s’acclimater parmi nous. Il y a quelques années, M. Quinet avait essayé de l’appliquer, et quels que soient les mérites qui recommandent son Ahasvérus, malgré les pensées élevées, les sentimens vrais qu’il a prodigués, toutes les fois que les cathédrales prenaient la parole, le lecteur le plus bienveillant se frottait les yeux comme pour s’assurer s’il n’était pas dupe d’un songe. Je crains bien que pareille chose n’arrive à M. de Laprade. Il possède, comme M. Quinet, des facultés éminentes, une grande richesse d’imagination, il aime la justice d’un amour sincère et profond, il plaide avec éloquence la cause du malheur ; il connaît et il sait peindre les maladies morales de notre temps. C’est plus qu’il n’en faut pour exciter de vives sympathies ; mais je crois que sa voix serait plus puissante, qu’il exercerait sur les penseurs et sur la foule une action plus constante et plus sûre, s’il se contentait de parler en son nom et ne forçait pas la nature à parler après lui. Qu’il se laisse attendrir par les plaintes du rossignol, qu’il rêve au murmure du ruisseau, qu’il écoute avec épouvante l’orage qui soulève les vagues de l’Océan, rien de plus légitime ; que, toutes ces voix soulèvent dans son cœur un écho harmonieux, que la joie ou la douleur s’échappent de ses lèvres en strophes sereines ou effrayées, jusque là le goût n’a pas à se plaindre. Que le poète, au lieu de s’en tenir à cette libre interprétation, donne la parole aux choses : non seulement le goût s’en étonne, mais l’émotion s’affaiblit. En cherchant la précision, le poète perd la trace de la vérité.

La première pièce du recueil, la Symphonie des Saisons, justifie pleinement les idées que je viens de développer. Le poète en effet, au lieu de s’en tenir aux différens aspects de la nature pendant le cours de l’année, prête une voix à toute chose. L’homme n’est plus seul à sentir l’épanouissement du printemps, la chaleur de l’été, la monotonie de l’automne, la tristesse de l’hiver. Les plantes, les oiseaux s’associent à ses pensées, les fleurs se réjouissent ou se lamentent avec lui ; et comme il cherche constamment dans le spectacle