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les moyens sont connus et limités, des effets qui n’appartiennent qu’à une autre forme de l’imagination. Ainsi je n’approuve pas les poètes qui essaient de reproduire les lignes de la statuaire ou les couleurs de la peinture. Dans le premier cas, ils arrivent presque toujours à l’immobilité, dans le second au chatoiement. Sans qu’il soit besoin de désigner personne, le lecteur comprendra à quels poètes je fais allusion. Nous avons de nos jours toute une école vénitienne qui manie la parole au lieu de manier le pinceau. L’école sculpturale n’est pas aussi nombreuse ; cependant il ne serait pas difficile de noter dans la littérature contemporaine plus d’une page où la forme est exprimée pour l’amour seul de la forme, et qui par cela même relève de la statuaire. Est-il plus sage, est-il plus prudent pour la poésie de vouloir lutter avec la musique ? Je ne le pense pas. Tenter d’imiter dans une série de strophes le développement mélodique d’un motif, offre plus d’un danger. Le moindre malheur qui puisse advenir est de tomber dans la puérilité. La parole humaine demande des pensées plus précises que le violon ou le hautbois, et si l’on veut réduire la poésie au plaisir de l’oreille, on risque fort d’assembler des mots sonores sur des pensées à peu près nulles. Quant au développement symphonique d’un thème, quel qu’il soit, il faut encore moins y songer ; avec les ressources dont la poésie dispose, une telle pensée ne peut pas même recevoir un commencement d’exécution. Dès les premières mesures, c’est à dire dès les premiers vers, la volonté du poète est réduite à néant. La musique emploie simultanément cinquante voix, cent voix ; le poète n’a qu’une voix. Inégal au musicien s’il essaie de s’en tenir à la mélodie, il ne peut aborder la symphonie.

Insister sur une vérité si élémentaire serait un pur enfantillage, et si j’ai pris la peine de la rappeler, quoiqu’elle se présente naturellement à tous les esprits, c’est que le titre choisi par M. de Laprade, quoique inexact, exprime pourtant d’une manière détournée l’intention qu’il a voulu réaliser. La voix humaine ne suffit pas à l’expression de sa pensée, et pour dire tout ce qu’il éprouve, pour traduire les sentimens joyeux ou douloureux dont son âme est assaillie, il associe à la voix humaine toutes les voix de la nature, c’est à dire qu’il nous ramène à la colère du torrent, à la rêverie du ruisseau, au mugissement de la forêt. Je n’approuve pas l’emploi de cette méthode dans le poème de Psyché, et quoiqu’elle présente moins d’inconvéniens dans l’expression d’une pensée toute personnelle, qui n’est limitée ni par le temps ni par le lieu, elle soulève encore de nombreuses objections. De tout temps les poètes ont interprété tous les bruits qui frappent l’oreille humaine, depuis le chuchottement des feuilles agitées par la brise jusqu’aux menaces des flots et du tonnerre. Je ne reprocherais donc pas à M. de Laprade d’avoir suivi l’exemple de ses devanciers. Qu’il prétende deviner le sens mystérieux de tous ces