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danger lorsqu’il s’agit d’émouvoir et de persuader. Aux poètes et à la foule qui les écoute l’aspect splendide ou sombre de la nature, aux philosophes et à ceux qui recueillent leurs leçons le sens symbolique des scènes qui nous charment, ou nous épouvantent. Pour n’avoir pas compris nettement l’intervalle qui sépare la poésie de la philosophie, M. de Laprade a souvent rencontré des lecteurs sévères, et plus d’une fois j’ai entendu nier son talent poétique. Je crois pourtant que tous les juges éclairés condamnent cette rigueur. À quoi se réduit en effet : le reproche mérité par l’auteur des Symphonies ? Il s’attache trop à convaincre et pas assez à persuader. Il prête à ses auditeurs trop d’intelligence et de goût pourra réflexion, il les croit doués d’une attention trop puissante, d’une sagacité trop vive, et ne parle pas assez souvent à leur imagination. C’est un tort sans doute, puisqu’il s’adresse à la foule et n’explique pas sa pensée dans une chaire de philosophie ; mais ce reproche même se traduit en éloge, si l’on pense à tous les parleurs habiles qui savent depuis longtemps discipliner les mots, qui commandent aux images les évolutions les plus compliquées et se font obéir, mais qui charment l’oreille sans émouvoir le cœur, sans élever, sans instruire, sans éclairer l’intelligence M. de Laprade n’appartient pas à cette famille de parleurs habiles La voie qu’il a choisie, sans être solitaire, n’est, pourtant pas très fréquentée. Il va constamment de la pensée à l’expression et n’essaie jamais de suivre une méthode inverse, c’est à dire de trouver dans le maniement des mots un semblant de pensée. En agissant ainsi, il n’accroît pas autant qu’il pourrait le faire le nombre de ses auditeurs ; mais ceux qui l’ont une fois entendu reviennent volontiers pour l’entendre, et leur empressement compense l’indifférence et l’inattention des esprits moins élevés.

Il s’agit pour moi de démontrer l’exactitude de ces observations par l’analyse des œuvres de M. de Laprade, de prouver, pièces en main, que je n’exagérerai ses qualités ni ses défauts. J’espère que le lecteur partagera mon opinion quand j’aurai appelé à sa mémoire les meilleures pages de Psyché, les Odes et Poèmes les Poèmes évangéliques et les Symphonies. La nature même des sujets traités par l’auteur rend cette tâche difficile ; mais il y a profit à se nourrir d’une telle pensée, et les bénéfices de l’enseignement soutiennent l’attention et raniment le courage. M. de Laprade a choisi pour son début la fable de Psyché une des plus charmantes de l’antiquité païenne ; Il y a certainement dans ce premier poème beaucoup de grâce et d’élévation. Bien des pages méritent des éloges presque sans réserve. Cependant, pour peu qu’on ait étudié l’antiquité païenne, on s’aperçoit bien vite que l’auteur a méconnu complètement la nature et les conditions du sujet qu’il avait choisi. La Psyché de M. de Laprade n’a pas grand’chose à démêler avec la mythologie grecque. Ce n’est