quelquefois elle retentit d’un son étrange, sourd, guttural, asiatique, comme le dernier murmure d’un peuple qu’on étouffe ; mais toujours elle rentre dans l’accord des nations latines.
Ainsi, grâce à cet idiome nouvellement découvert pour l’Occident, encore méprisé d’un grand nombre, nous pouvons assister au premier débrouillement de la parole moderne, du moins nous en faire une idée exacte, tout emprunter à l’observation et rien aux systèmes, saisir le moment où nos langues se séparent du moule antique, y assigner même une date certaine. Quand cet humble idiome roumain ne devrait pas nous rendre d’autre service que de reculer de six siècles l’horizon de nos origines, il me semble que j’en ai dit assez pour montrer son importance. Faire la moindre conquête, pourvu qu’elle soit assurée, dans la connaissance du passé, est-ce une chose à mépriser pour l’homme, dont la vie est si rapide et la pensée si incertaine ? Voilà ce que dès la première expérience on peut tirer de l’application du roumain à quelques-uns des principaux problèmes de l’histoire générale. Peut-être même que, sans abuser de cette méthode, on pourrait aller beaucoup plus loin, car il n’a pu vous échapper que le moment de la formation du roumain touchait de bien près à l’âge d’or de la langue latine. Tacite et Pline écrivaient pendant que les colons arrivaient en Dacie. Ce n’est donc pas la corruption de la langue littéraire de Tacite et de Pline qui a pu en quelques années engendrer les idiomes nouveaux ; il fallait qu’ils existassent déjà en germe, et puisque cette œuvre n’appartient pas davantage aux Barbares, nous avons ici la confirmation d’une loi pressentie et annoncée par d’autres, à savoir : que les langues d’une même race, d’un même peuple portent en elles le principe de leurs changemens, qu’elles sont pour ainsi dire enveloppées l’une dans l’autre, indépendamment des vicissitudes extérieures ; que le latin des classes cultivées renfermait le latin rustique des classes inférieures, comme le latin rustique renfermait en soi les langues néo-latines modernes. Et si un bouleversement de la nature ou des hommes emportait du milieu de nous les représentans de la civilisation avec tous ses monumens écrits, il est probable que sous nos langues modernes on verrait surgir les dialectes populaires, les patois qui aspireraient à devenir des langues régulières écrites, pour commander et régner à leur tour. Peut-être n’est-ce là qu’une répétition de cette loi plus vaste de la nature, qui, sans rien faire naître de la corruption, tire tout invariablement d’un même principe de vie.
De ces conclusions générales, si je devais descendre à caractériser d’une manière particulière l’idiome roumain, je dirais que ce qui le distingue d’abord de ses sœurs occidentales, c’est une incli-