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hors du cercle des nations germaniques, et que celles-ci, loin de pouvoir leur imposer une langue, les ont à peine aperçues à l’origine. Si donc le Roumain, le Français, l’Espagnol, le Portugais, ont une même grammaire, au moins en ce qui les distingue de l’antiquité, et s’il est démontré que le premier n’a pas reçu de la race germanique ses formes de langage, cette démonstration s’applique évidemment à toutes les autres.

Ces résultats sont négatifs ; il en est d’autres positifs qui, en même temps qu’ils nous touchent de plus près, ont l’avantage de mieux marquer le caractère propre de l’idiome roumain. Si je ne me trompe, ils font faire un grand pas à la question fondamentale de nos origines. Toutes les fois que l’on a cherché à déterminer l’époque où ont commencé nos langues modernes, on a bientôt rencontré une borne qu’il a été impossible de franchir. Ceux qui ont vu le mieux et le plus loin dans le passé sont remontés jusqu’au IXe, peut-être au VIIIe siècle, pour saisir le germe de nos nouveaux idiomes[1], car ils rapportent des chartes, des diplômes de ce temps-là, où se lisent déjà des mots d’un latin rustique étranger au latin littéraire, mais encore en usage de nos jours. Ce sont les limites extrêmes qu’il nous est donné d’apercevoir avec certitude. Au-delà est la terre inconnue. Tout devient mystère dans l’enfantement de nos langues. Le fil historique nous abandonne, et pourtant l’esprit a peine à ne pas presser davantage cette question. Il me paraît que précisément à cette dernière limite l’idiome roumain vient à notre secours ; il se présente à nous comme un de ces instrumens en apparence grossiers, à l’aide desquels les plus humbles des hommes peuvent étendre leur cercle visuel et découvrir, dans l’abîme de la nuit, des espaces perdus qui échapperaient sans cela à l’œil des plus clairvoyans.

Que le lecteur veuille bien me prêter un moment son concours. Je ne désespère pas de le conduire, par une déduction rigoureuse, à quelque évidence sur cette partie la plus obscure peut-être de nos origines. J’interrogerai, il répondra.

— Si le même fond de langage se trouve chez les peuples du Bas-Danube, du Tibre, de l’Arno, de la Garonne, de la Seine, de l’Èbre, du Tage, quelle conclusion tirez-vous de cette parenté ?

— Attendez ! Voilà bien votre impatience ordinaire, dont je vous croyais guéri. Je me garderait de conclure comme vous à la parenté, car enfin vous m’avouerez que l’esprit humain, qui est partout le même, a pu faire les ressemblances qui vous frappent.

— À merveille ! Considérez pourtant qu’il ne s’agit pas seulement des lois et des formes générales du discours, mais bien des mots

  1. Voyez Fauriel, Origines de la Langue italienne, t. II.