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motif qu’ils avaient été avancés une fois ; ils vivaient sur le crédit qu’on accordait à leurs auteurs. Cependant le jour où l’on vint découvrir à l’extrémité de l’Europe, sans lien avec nos sociétés, un idiome semblable aux nôtres, parent des nôtres, on comprend aussitôt ce que ce nouveau terme de comparaison a dû apporter de lumières. Et bien qu’il faille avouer que l’on commence à peine à s’éclairer de ce flambeau, déjà des résultats éclatans ont été obtenus, parmi lesquels je me contenterai de citer les principaux. Comme il était aisé de le pressentir ces premiers résultats sont moins des vérités découvertes que des erreurs détruites.

J’appelle de ce nom le système[1] tout imaginaire, longtemps accrédité, d’une langue provençale qui aurait été le type de nos idiomes néo-latins et qui du midi de la France se serait répandue, on ne sait comment sur le reste de la France, sur l’Italie et l’Espagne. Tant que ces idiomes néo-latins étaient les seuls connus, on pouvait à tout prendre admettre que l’une de ces contrées eût communiqué sa langue aux autres. Du moins l’impossibilité n’était pas manifeste et grossière. Il a suffi de la seule apparition de l’idiome moldo-valaque pour faire évanouir ce système, déjà, il est vrai, très ébranlé. Personne n’a osé soutenir qu’un Provençal était allé enseigner sa langue aux montagnards des Carpathes. L’évidence s’est faite sur cette matière, longtemps obscurcie par la science même.

Voici un second résultat du même genre par lequel se détruit une erreur plus profonde et plus aisée à défendre. Qui ne sait que l’on a expliqué longtemps la formation de toutes les langues romanes et du français en particulier par la collision du latin avec les idiomes germaniques ? On allait même jusqu’à reconnaître le génie particulier de ces derniers idiomes dans les nôtres. Le latin, disait-on, avait fourni les mots ; le goth, le franc, le lombard, le vandale, avaient enseigné la nouvelle grammaire. Beaucoup d’objections s’étaient élevées contre cette idée ; mais, encore une fois, ce n’étaient que des raisonnemens opposés à d’autres raisonnemens : il fallait un fait palpable, visible, pour substituer la certitude au doute. Ce fait s’est montré, ou plutôt il se montre à découvert dans la constitution de l’idiome roumain. Là se trouvent toutes les différences fondamentales qui distinguent nos langues modernes et néo-latines de celles de l’antiquité. Comment donc l’allemand aurait-il fait la nouvelle syntaxe des peuples d’Occident, si cette syntaxe dans ce qu’elle a d’essentiel est absolument la même chez les peuples des Carpathes ? Dira-t-on que le moldo-valaque a jailli du choc du latin et de l’allemand ? Cette idée n’est venue encore à personne. On sait que les peuples du Bas-Danube, enveloppés de Slaves, de Hongrois, de Turcs, ont vécu

  1. Le système de M. Raynouard.