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qui s’ouvrent sur la plaine. Dans les bas-reliefs de la colonne, on voit les troupes légères, les archers, les frondeurs germains, précéder le gros de l’armée et fouiller les rochers, les forêts impénétrables. Les Daces, aisés à reconnaître à leurs sabres en forme de serpes et de faucilles, semblent en fuyant attirer les légionnaires dans des embûches. Un incident faillit tout compromettre : Longinus, lieutenant de Trajan, appelé à une entrevue par Décébale, tombe dans le piège. Il reste prisonnier.

Les Daces espéraient tirer grand parti de cette capture, et déjà ils redemandaient le donatif. Pour ne pas embarrasser davantage son général, Longinus s’empoisonna, preuve nouvelle qu’il est des temps où les vertus militaires survivent à toutes les autres. De réduits en réduits, on arriva au pied des abatis d’arbres, des murs, des forteresses qui fermaient étroitement la vallée où s’était retranché le gros de la nation. Défendus avec fureur, ces obstacles ne purent arrêter les légions, qui les escaladèrent. Atteints pour la seconde fois dans leur dernier refuge, entre la Transylvanie et la Valachie, les Daces ne pouvaient se retirer nulle part. Quelques-uns gagnèrent les cimes escarpées du Vulcan et s’enfuirent jusqu’au-delà du Pruth. On les voit encore dans les bas-reliefs emporter sur leur dos leurs provisions leurs sacs roulés, leur chétif bagage, traînant leurs enfans par la main. Le plus grand nombre mirent eux-mêmes le feu à leurs huttes, à leurs villages, à leur ville sacrée. Pour échapper aux Romains, les chefs prirent du poison. On ne ramassa que leurs cadavres à demi dévorés dans l’incendie qu’ils avaient allumé. Décébale, à qui l’honneur est resté d’avoir disputé, tant qu’il vécut, son pays à l’empire, se poignarda. Sa tête coupée fut portée à Rome pour amuser le peuple. Ce n’était pas seulement la tête d’un homme, mais d’une nation, entière, puisqu’à partir de ce jour le nom des Daces disparaît de l’histoire, comme s’il n’avait jamais existé.

Les Daces étaient détruits ; il fallait les remplacer, les empêcher de renaître. Ce fut l’œuvre des colonies latines. On en connaît avec certitude quatre au moins qui ont été conduites par Trajan, sans parler d’une cinquième dont l’empereur Sévère fut le fondateur. Rien de plus authentique ni de plus avéré que l’existence de ces colonies, puisqu’elle est attestée dans les lois romaine par le Digeste[1], qui fait connaître à la fois et leurs noms et le droit qui y était attaché. Déterminons la place qu’elles occupaient, ce qui peut se faire en comparant avec attention les lieux aux cartes militaires[2] dressées dans les premiers siècles de l’empire romain.

  1. Digest, tit. XV, De Censibus.
  2. Peutingeriana Tabula itineraria, segm. VI, VII, VIII. — Anonymi Ravennatis Geographia, lib. IV, p. 149, 150. — Mannert, De Tabulœ peutingerianœ œtale, p. 115.