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siècle tout le monde se prit à espérer quelque chose au souffle de la révolution française, un rayon, je ne sais lequel, tomba aussi sur les ossemens et les cendres de ces peuples. Ils se sentirent remués par l’ambition de renaître. Deux fois ils s’adressèrent au vainqueur de Lodi et de Marengo. C’était un homme de leur race, le représentant, le consul, peut-être le nouveau Trajan de l’Europe latine. Ne reconnaîtrait-il pas les vétérans et les colons du divin césar ? On raconte que Napoléon ne comprit rien au langage de ces hommes qui redemandaient leur vieux droit de cité italiote. À peine s’il laissa tomber sur eux un regard. Ce qu’il y a de sûr, c’est que peu d’années après, dans les conférences de Tilsitt, il offrait au tsar d’ensevelir à jamais ces supplians dans l’empire russe.

Pendant que l’Europe occidentale se détournait de plus en plus des populations de la Roumanie, celles-ci ne cessaient d’entretenir la tradition de leurs origines, même dans les époques les plus barbares du moyen âge. Le Goth Jornandès, du VIe siècle, est le premier historien chez lequel je trouve le nom de Roumanie dans le sens où les paysans disent encore la terre-romaine, tsâra roumanesca. Au XIIe siècle, le clergé de ces provinces fit un effort marqué pour les rattacher à la civilisation latine. L’archevêque de Zagora écrit au pape Innocent III que les Valaques sont les héritiers du sang des Romains. Le pape reconnaît cette descendance comme une chose avérée. Innocent III essaie d’en profiter pour ramener à l’unité romaine les dissidens, qui semblaient chanceler encore. D’autre part, Byzance n’a jamais ignoré la filiation des Moldo-Valaques. Au XVe siècle, un écrivain byzantin, Chalcondylas, expose, comme un point reconnu de tous, que la langue roumaine est en tout semblable à la langue italienne, quoiqu’elle soit comprise à grand’peine par les Italiens. Lucius, dans sa description de la Dalmatie, étend cette ressemblance aux usages, aux coutumes.

Après une possession d’état aussi déclarée, comment le souvenir de cette filiation a-t-il été perdu chez nous ? Je pense qu’une chose explique l’isolement extraordinaire dans lequel sont tombés les Moldo-Valaques, et pourquoi le fil qui les rattachait à nos sociétés a été si tôt brisé dans le labyrinthe du moyen âge : c’est qu’ils ont rompu avec l’église catholique. De ce moment, l’Occident a cessé de les connaître. Dans un temps où les rapports religieux étaient les seuls qu’eussent entre eux les hommes éloignés les uns des autres, le lien de la foi brisé, tout fut brisé ; il devint impossible à l’Occident de reconnaître pour parens des peuples schismatiques. Tant que la papauté eut quelque espoir de retenir les Latins des provinces danubiennes, elle fit valoir l’autorité du sang de Romulus ; mais cet