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même, et analysait ses songes pour y découvrir quelque chose de réel.

— Je vois quelquefois des lueurs, lui dit-elle un soir, mais je ne vois pas encore de clartés ; puis les lueurs s’effacent et les ombres reviennent.

Dans les premiers jours qui suivirent son réveil, Thérèse ne voulait pas se séparer de Gérard. Elle craignait toujours qu’il ne s’en allât pour ne revenir jamais. Il fallait employer mille promesses et presque la ruse pour la déterminer à quitter sa main. Elle la retenait longtemps emprisonnée entre les siennes et le suppliait de ne pas partir.

Mme  de Lubner imagina de faire préparer une chambre que Rodolphe avait occupée autrefois, et qui n’avait plus été ouverte depuis la mort de ce jeune homme.

— J’ai fait mettre, dit-elle à sa nièce, des fleurs dans les vases et des bougies aux flambeaux qui sont dans la chambre verte : dès ce soir, il pourra s’y installer.

Mais à leur grande surprise à tous deux Thérèse, bien loin de témoigner de la joie, laissa voir une sorte de mécontentement ; elle n’insista plus pour que Gérard restât dans la maison. À ce mot de chambre verte, un nuage passa sur son front, et avec une vivacité dont elle ne donnait presque plus de preuve, elle courut à l’étage supérieur et en ferma la porte à clé.

Bien sûre que personne n’y entrerait plus sans sa permission, elle redescendit au salon et tendit la main à Gérard.

— Adieu donc, lui dit-elle, à demain !

Sa voix n’avait rien perdu de sa douceur et son regard de sa tendresse, mais elle ne parla plus de le retenir.

Un autre changement s’était opéré en elle. Thérèse n’appelait plus Gérard du nom de Rodolphe, elle ne l’appelait pas Gérard non plus : elle l’appelait mon ami. Ce mot, qui ne précisait rien, répondait-il à un doute ? Était-ce dans son esprit une de ces lueurs indécises qui annoncent l’aurore naissante et précèdent le jour ? Gérard l’espérait, mais il n’osait pas le croire encore. Il craignait surtout que, la lumière se faisant dans cette intelligence, il ne perdît Thérèse sans retour. Il avait, sans se l’avouer, toutes les timidités et toutes les peurs de l’amour véritable.

Thérèse voulut voir un jour le médaillon qu’elle lui avait donné ; elle reconnut les traces du feu qui en avait légèrement endommagé l’ivoire. Encore quelques secondes, et l’image, altérée déjà, disparaissait tout à fait.

— Je sais maintenant pourquoi j’ai été malade, dit-elle.

Et elle lui rendit la miniature sans demander d’explications.