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— Mais, dit Gérard, vous parlez comme si nous ne devions jamais nous revoir ! Si cependant je revenais, que diriez-vous ?

— Oh ! alors, répondit-elle presque gaiement, vous me retrouveriez avec ma robe blanche et mes rubans bleus… Je vous le promets.

Il fallut enfin se séparer, Gérard redoutait beaucoup ce moment. Thérèse s’y montra plus ferme qu’il ne l’aurait cru ; elle était seulement d’une pâleur de morte.

Quand il fut à la porte du jardin, Thérèse le serra sur son cœur avec un mouvement de passion qui bouleversa Gérard. — Surtout, lui dit-elle tout bas à l’oreille, ne perdez pas le portrait ! Adieu ! ajouta-t-elle.

Elle ouvrit les bras, poussa la porte et rentra dans le jardin, Gérard se pencha sur la grille et vit la robe blanche de Thérèse qui s’éloignait entre les arbres. Une minute après, il ne vit plus rien. Il se sauva en courant et sans regarder derrière lui.

À quelques jours de là, Gérard était de retour à Paris, et le tourbillon de la vie le saisissait de nouveau. Le soin de ses affaires lui prit d’abord quelque temps : il dut chercher ses amis et renouer les relations rompues, puis le courant de l’habitude l’entraîna, et la pensée de retourner à D… ne se présenta presque plus à lui. Ce n’est pas qu’il eût oublié Thérèse, mais les mêmes motifs qui l’avaient décidé à la quitter ne se rencontreraient-ils pas ?

Pendant les premières semaines, il éprouvait chaque jour, vers sept ou huit heures, un sentiment de tristesse qui le ramenait en esprit à D… C’était l’heure où il avait coutume d’aller au jardin, et il revoyait Thérèse qui courait au-devant de lui ; le vent de sa course agitait ses rubans bleus, et elle souriait. Souvent alors il tirait le médaillon de son étui et le regardait, quelquefois même il l’embrassait comme eût fait un amoureux de vingt ans. Si quelqu’un de ses amis l’eût surpris dans ces momens-là, Gérard n’aurait plus su où se cacher. Au bout d’un certain temps, cette impression s’affaiblit, et trois mois ne s’étaient pas écoulés, qu’elle était presque entièrement effacée. Gérard était à Paris et en subissait l’influence.

— Pauvre Thérèse ! disait-il quelquefois en fumant son cigare le soir sur le boulevard. Un ami passait, et Gérard oubliait Thérèse.

À cette époque, par désœuvrement et aussi peut-être par imitation, Gérard était en fort grande relation avec une jeune personne qui appartenait au corps de ballet de l’Opéra. Mlle Clotilde, — c’était son nom, — avait ses grandes et petites entrées chez Gérard, et en usait fort librement. Un jour qu’elle furetait partout comme un jeune chat, elle mit la main sur un étui en peau de chagrin qui renfermait un portrait. Gérard voulut lui faire remettre ce portrait, qui n’était autre que celui de Thérèse, dans le tiroir où Mlle Clotilde l’avait dé-