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attachait à son corsage, à ses cheveux, à son chapeau, à ses poignets. On finit par découvrir qu’un vieux pastel, qui se trouvait dans une pièce écartée et que Rodolphe aimait beaucoup, représentait une femme ainsi vêtue. Son esprit incertain attachait peut-être à ce costume une signification qui échappait à tout le monde ; peut-être voyait-elle dans cette robe blanche et ces rubans bleus la toilette des fiancées.

Chaque jour à cinq heures, — heure où la fatale nouvelle lui avait été apportée, — Thérèse tombait en syncope. C’était moins encore un évanouissement qu’un sommeil magnétique. On avait cherché quelque temps à combattre cette disposition, mais elle éprouvait alors une telle agitation, des transports si vifs et si violens, de tels accès de rires et de pleurs, qu’on dut renoncer à la contrarier. Ces sommeils ne duraient jamais plus d’une heure ou deux, et elle en éprouvait un soulagement singulier. Le mal dont elle souffrait à la tête augmentait ou diminuait d’intensité suivant que ce repos surnaturel avait été plus ou moins profond.

La vie des deux femmes était tout à fait calme et retirée. Elles avaient quitté le monde, et petit à petit le monde les avait oubliées. Elles ne sortaient presque jamais de leur maison, si ce n’est pour quelques promenades dans le parc de D… Cependant, depuis la rencontre qu’elles avaient faite de Gérard, Mme  de Lubner avait remarqué que Thérèse montrait plus d’animation et plus de vie. Sa tristesse habituelle avait même un peu cédé ; on l’avait entendue rire. Le cœur de la pauvre femme en était épanoui. Elle y voyait comme l’aurore d’une guérison possible.

— Mais à quoi attribuez-vous cette familiarité qui tout d’abord m’a si étrangement surpris ? demanda Gérard à Mme  de Lubner après qu’elle eut achevé son récit. Trouvez-vous quelque ressemblance entre ce Rodolphe dont vous parlez et moi ?

— Oui certainement, bien qu’elle ne m’eût pas frappée si Thérèse ne me l’avait fait observer, répondit Mme  de Lubner. Le premier jour où vous vîntes à passer, elle me poussa le coude. — Chut ! me dit-elle tout bas et la bouche contre mon oreille, le voilà ! — Je ne compris pas d’abord, et je regardai de tous côtés. Un moment après, elle me pressa le bras, vous étiez près de nous, et Thérèse vous fit un signe de la tête. — Je vois bien, me dit-elle, qu’il ne veut pas être reconnu, mais certainement il nous viendra voir… Et comme vous vous éloigniez, elle ajouta : — Il est un peu changé, n’est-ce pas ? Il a tant voyagé !… Ces derniers mots furent un trait de lumière ; je compris tout. Elle voyait en vous ce Rodolphe, qu’elle n’a jamais pleuré et qu’elle a regretté jusqu’à la folie.

Mme  de Lubner se couvrit le visage de ses mains.